Lettre du 22 février 1917 de Marcel Sibaud

22.2.1917

 

Ma petite chérie,
Bonne journée aujourd’hui pour la correspondance ; outre ta fidèle lettre, j’en ai reçu une de maman et une très longue de tante Amélie.
Pour le reste, ce matin à 6h45 nous étions arrêtés en plein air à faire du dessin panoramique. Il faisait plutôt frais, nos mains étaient gelées. J’ai trouvé l’heure drôlement choisie. Les horreurs que beaucoup ont faites, tu n’en as pas idée ! En ce qui me concerne vu la fraîcheur, l’insuffisance de l’installation fait quelque chose d’assez médiocre mais qui enfin tenait debout. Le professeur cependant (1 sergent) a trouvé que c’est à peu près ce qu’il avait vu de mieux dans les 2 sections. Le capitaine m’a rendu mon carnet de notes de manœuvre : note Assez bien, du travail, mais classez mieux vos idées. Jusqu’ici, dans la section, il n’y a eu qu’un Bien.
Je t’avais dit que le capitaine m’avait promis de me faire barder. Il ne tient que trop sa parole. Toute la journée j’ai été caporal dans un terrain très dur. Depuis et sauf le premier jour, il n’y a pas une manœuvre que je n’ai faite de bout en bout alors qu’il y en a toujours qui reste en surnombre à regarder. J’espère que le capitaine qui a l’œil en tiendra compte ; il ne manque d’ailleurs jamais de relever les petites fautes que je peux commettre sur le terrain. En tous cas, il est toujours uniquement capitaine vis-à-vis de moi. Les manœuvres quotidiennes font que je n’aspire guère à marcher le dimanche. Aussi je ne sais si j’irai à La Palud. Tante Amélie m’y engage beaucoup mais c’est à plus de 30 km donc infaisable à pied. Je vais m’enquérir si on me laisserait prendre « le dus » en payant place entière. En ce cas, j’écrirai à ces dames. Pour dimanche prochain, je m’en tiens au programme que je t’ai indiqué : lavage, correspondance, un peu de travail et croquis de l’église si le temps le permet, blanchissage et confection d’un colis de choses inutiles.
Si je puis prendre une permission actuellement, ou prolonger celle de Pâques, je ferai ajouter des jours auxquels j’ai droit à ma permission de fin de cours et demanderai le transport gratuit à Pâques. Ce n’est pas pourtant, tu peux le croire, l’envie qui me manquerait de revenir t’embrasser. Mais je ne voudrais pas non plus « sécher ». Ces 2 jours-ci ont été un peu plus calmes. Pourvu que cela dure ! Je n’y compte pas trop.
Pour ce qui est du colis, la gare est à 10minutes à peine du cantonnement.
Moi aussi de mon côté j’ai souvent pensé aux lumineuses journées passées ensemble pendant les vacances. Mais il ne faut pas désespérer, cela reviendra et par contraste nous l’apprécierons d’autant plus. Ce ne sera plus 2 mais 4 petits pieds qui se tremperont dans l’eau. Maman m’a dit combien elle a trouvé jolie la layette du petit. Elle insiste beaucoup pour que je prenne les jambières ; mais réflexion faite je crois que ce serait gaspiller que les prendre actuellement pour me trouver dans les terres labourées, les ronces et les buissons piquant de par ici. De même je ne prendrai pas encore de liseur de carte, ce serait prématuré et je ne voudrai pas qu’on puisse y voir une confiance trop grande dans le succès final.
Mon Bernados est assez paresseux et est en outre assez désordonné. Mais ici cela m’est égal, jusqu’ici nous n’avons pas été 2 fois ensemble à écrire dans la chambre, il dort ou va à la cantine.
Je me demande si je vais continuer le vin blanc, c’est une grosse dépense. Avec la soif qu’on a au retour de la manœuvre et les repas, le litre me fait à peine 2 jours. 0fr60 de vin par jour, c’est beaucoup. Je vais sans doute me remettre à l’eau qui en somme ne paraît pas mauvaise. Je me demande cependant si le vin ne me soutient pas un peu. Je consulterai sans doute oncle Emile sur la question. J’ai d’ailleurs un excellent appétit et je dors bien. Je viens de finir ton petit pot de confitures.
Je te quitte ma petite chérie en t’embrassant mille et mille fois ainsi que Toto.
Amitiés aux mamans.

Ton Marcel


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