Lettre du 21 février 1917 d’Emilie Sibaud

Vincennes, le 21 février 1917
Mercredi matin

 

Mon chéri,
Je viens de recevoir ta longue lettre qui me donne quelques détails sur ton genre de vie à Valréas. Tout à toi que je te dise combien je suis contente de voir que la température sensiblement adoucie te permet de ne pas trop souffrir du manque de feu. Ici nous avons 15 dans le salon et la salle, dans notre chambre avec du feu nous allons jusqu’à 20°. J’ai remis la maison en ordre, on commence un peu à s’y reconnaître.
Hier il paraît que c’était « mardi gras », on ne s’en serait pas douté, Yves a fait une partie avec Roger, Mme H. étant venue dans l’après-midi. Elle s’est rencontrée avec ta mère qui était en vacances. Sa santé est toujours de mieux en mieux, et elle a l’air de bien se trouver de son régime actuel.
Ce que tu me dis du capitaine, m’étonne un peu, mais il paraît qu’il est assez fort de caractère, il a été sous les ordres de M. Drahonet quand il a fait son armée en sortant de St-Cyr, celui-ci en dit beaucoup de bien. A ce propos les Drahonet vont habiter Paris, le commandant allant au ministère de la Guerre.
Je pense si je ne suis pas trop fatiguée aller déjeuner chez les Gallo vendredi ou samedi. Nous prendrons la Ceinture, je crois que ce moyen de transport sera préférable.
Je suis bien contente que tu es fait une bonne réponse au colonel lors de l’interrogatoire, bien contente aussi, si cela ne doit pas trop te gêner que tu partages ta chambre avec M. Bernados, surtout si c’est un travailleur comme tu le supposes. Mais cette chambre te sert-elle seulement de pièce de repos ? ou bien y couches-tu ?
Achète toi les pantoufles, tu seras beaucoup plus à l’aise et surtout dis moi si tu as besoin d’argent ? Je te conseille de prendre les molletières aussitôt que Mme Sibaud t’aura envoyé l’argent, tes bandes doivent être passablement passées à faire de la manœuvre comme cela. Parviendras-tu à t’arranger pour le blanchissage ? N’as-tu pas besoin de linge ? Tu fait bien de prendre du vin blanc.
Maintenant que je te parle un peu de choses moins matérielles, et si pourtant, encore la lampe électrique, veux-tu que je vois à Paris, crois-tu que les vingt francs de Victor suffisent ou bien est-ce un article plus soigné que tu veux ? Pour le liseur de carte, je préfèrerais que tu le choisisses sur catalogue ou que tu m’indique à peu près ce que tu veux, cela m’ennuie de ne pas te donner ce que tu penses.
Donc je voulais te parler d’Yves, il a encore grandi et je crois bien grossi. Demain en le baignant je vais le peser. Crois-tu que je parlais balance à propos de notre petit attendu alors M. Toto d’un air important explique la façon de mettre la corbeille sur les balances pour peser « le petit père » et ce qu’il y a de mieux c’est que c’était bien cela ! « On met les épingles comme ci et comme cela » et faut voir les gestes ! Maintenant quand il t’écrit, il me dit « je veux mettre ceci ou cela » as-tu dis ça à papa ? Il craint toujours que je ne te tienne pas assez au courant de notre vie, probablement ! Je crois qu’il sera studieux et commence à bien connaître les doigts de la main, seulement il dit « le poute » ! Il nous joue aussi quelques tours, par exemple d’allumer l’électricité dans la salle, c’est à sa hauteur ! Heureusement on s’aperçoit tout de suite, du reste il se charge avec des petits rires de nous le montrer. Il allume « comme papa ! », il est fort « comme papa ! », il fait l’échelle à son poupon « comme papa ! ». L’autre jour il a dit à une de ses poupées « tiens toi tranquille ou je te claque ! », il est plus sévère que moi !
Mais je m’étends vraiment trop sur mon petit « phénomène », il faut que je lui laisse un peu de place pour écrire. Et pourtant je voulais te dire encore bien des choses. Je suis bien aise de voir que ta santé n’est pas trop mauvaise, et que tu supportes toutes ces fatigues. Ah mon chéri comme je voudrais voir revenu la petite existence de jadis, et qu’il me paraîtrait doux de t’attendre le soir, même lorsque ton directeur te gardait se tard ! Allons, je te quitte mon chéri, je serais très contente de recevoir quelques vues de Valréas à défaut du plaisir que j’aurais eu de regarder le paysage auprès de toi. Je connaîtrai du moins quelques unes des vues que tu vois chaque jour. Au revoir je t’envoie mes plus tendres baisers.
Tout à toi.
Emilie

 

Lettre d’Yves
21.2.17

enfant soldat et tankMon cher papa,
Je t’écris une vraie lettre à moi tout seul ! Je fais l’exercice avec mon petit fusil, une, deux, une deux, pan ! Je tue un boche.
Je suis bien sage et je fais presque pas enragé ma petite maman. Je voudrais aller en classe pour t’écrire tout à fait seul, je te dirais beaucoup de choses. Ce que je voudrais surtout c’est t’avoir avec moi. Je donnerai bien mon loulou à Roger, et même mon gros chariot pour que tu sois avec ton petit garçon qui t’aime des mille et des milles fois. [Ajout d’Emilie : opinion tout à fait à lui du reste, je ne sers que de « machine à écrire »]
Au revoir papa chéri, je t’embrasse sur tes yeux et te fais des petits coups dans l’oreille.
Ton petit Yves


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