Vincennes, le 21 avril 1917
Samedi soir 9h
Mon chéri,
Je profite du calme de la nuit pour venir causer avec toi, sœurette dort de son sommeil d’ange, Yves vient lui aussi de clore ses paupières, quel silence ! Dehors le vent souffle, de temps en temps un tramway passe, le bruit qu’il fait semble énorme. Je n’aime pas entendre le bruit du tramway, cela me rappelle trop le temps où je t’attendais ! Mon cœur se serre en entendant son timide. Je t’écris dans le salon sur notre vieux secrétaire, la lumière rose et tamisée qui descend du lustre donne un joli ton aux meubles mais il manque ta chère présence pour donner à cette pièce le charme que j’y trouvais il y a à peine un an ! Notre cher intérieur ! Est-ce samedi, cette veille de dimanche, je me sens mélancolique, que je suis seule ce soir ! Mon chéri, mon aimé, j’éprouve encore plus que les autres soirs, cette sensation de tristesse infinie où mon plonge ton absence. Quand les chers petits dorment, ne m’occupent plus par leurs présences, je me mets encore davantage à penser, je tourne et retourne en ma tête ce dont on a parlé hier à Auteuil. Je réfléchis aux possibilités qui s’offrent à toi, je pèse le pour et le contre, j’ai peur de demain et je voudrais pourtant y être, je voudrais percer l’avenir !
Le vent souffle davantage, je songe qu’autrefois blottie contre toi j’aimais entendre gronder la tempête, j’étais protégés. Ce soir au contraire le chant du vent me semble triste, c’est à moi de protéger !!! C’est une consolation de voir nos chers tout petits, si calmes, leurs mignons visages semblent refléter le bonheur, ah si tu étais près de nous !
Mais je te raconte pas mal de choses pour ne rien dire de sérieux. Parlons de choses plus agréables par exemple j’ai reçu à 3h ta longue lettre qui m’a fait bien plaisir. Si les Anglais pouvaient dire vrai et que ce soit bientôt la fin !
L’idée de Delaunay ne serait pas si mal, si c’était possible nous l’avons aussi envisagé hier, mais il faut toujours être affecté à un régiment avant. Ta conversation avec le capitaine semble n’avoir pas été trop désagréable.
Aujourd’hui je n’ai pas sorti petite Marcelle, il faisait trop frais, mais Yves est allé au bois avec maman. Le baromètre est remonté, l’humeur est meilleure. J’ai travaillé toute l’après-midi auprès du berceau de sœurette, toujours sage !
Je pense voir ta mère demain, à tout hasard, je lui ai fait envoyer 100k de bois hier par le frère de Madame Toussaint.
Pour les berlingots, je crois que tu pourrais en rapporter une boîte à Suzanne en venant.
Allons je te quitte mon chéri en t’embrassant mille et mille fois.
Tout à toi.
Emilie
Caresses de tes chers tout petits.