Lettre du 28 avril 1917 de Marcel Sibaud

Valréas, le 28 avril 1917

 

lettre ms 28 avril 1917Ma petite chérie,
Ouf ! Encore une semaine terminée !
Le capitaine voulait nous prendre ce matin bien que nous soyons rentrés qu’à 23h ½ de l’exercice de nuit. Mais le chef de groupe nous a dit qu’il nous trouvait bien assez surmenés, que nous avions manœuvre de bataillon dans la journée, il nous prenait pour nous faire une petite causerie. Bien que très longue, la manœuvre de bataillon n’a pas été trop dure. Partis à 12h ½ nous ne rentrions qu’à 19h, mais il y avait eu de longs arrêts pendant lesquels je passais le temps à prendre quelques croquis. Le capitaine passait près de nous me dit « j’ai vu de vos topos. Vous dessinez très bien ». Diable 3e ou 4e compliment !
D’après les bruits qui courent la plupart des coloniaux seraient affectés aux nouvelles formations sénégalaises pour le front français. Il arrive, paraît-il, 25 000 noirs et leur encadrement demanderait quelque temps. Mais naturellement ce n’est pas à Paris. En sorte que pour que j’obtienne le 23e, il faudrait peut-être qu’on [?], si cette affectation paraît satisfaisante.
Demain dimanche 29 avril ! presque premier mai, revoici l’été. Je viens de me faire couper les cheveux. Je vais quitter le chandail et lundi le pantalon de drap pour me mettre en culotte blanche sur mon caleçon au lieu de la mettre par-dessus mon pantalon de drap ce qui devient concessif. Je quitte aussi les chaussettes de laine. Elles me tiennent maintenant trop chaud et j’ai les pieds un peu abîmés par ces marches à n’en plus finir. Mon ongle va mieux mais n’a pu en 15 jours arrivés encore à se fermer car à chaque marche nouvelle il ressaigne un peu. Mon front a repris son alignement normal et de mon coup il ne reste plus qu’une marque un peu rouge. J’ai entamé le gâteau ovale, l’autre étant fini. J’ai déjà fait grand honneur aux confitures au chocolat mais n’ai pas encore entamé le jambon. Il y a toujours du vent quoique moins fort mais il commence à faire sérieusement chaud. A ce que je vois je n’arriverai guère encore à me coucher avant 10h. Pourtant demain je veux me lever tôt ayant encore un programme énorme à réaliser dont un levé de terrain que je n’ai pas mal réussi et que je veux remettre au net le plus proprement possible après avoir pris quelques mesures complémentaires.
La nuit dernière était superbe. Dans la montagne deux incendies de taille éclairaient les cimes. Près de nous d’autres buissons brûlaient allumés par les chutes des fusées. De ces fusées il y en avait de toutes les couleurs vertes rouge blanches éclairantes. Les cigarettes en ignition ponctuaient la nuit et leurs petites lueurs dans la campagne me rappelaient notre vieille [?].
Après une légère collation de quatre quarts et je dois l’avouer, après une bonne rasade de vin blanc, je suis allé me coucher et ai fait un bon somme.
Puis j’ai eu ta lettre agréablement longue dans sa petite enveloppe collée à la gomme n’est-ce pas ! Je dis cela à cause de mon idée d’ouvertures de lettres. Je ne dis rien que je ne puisse dire mais je serais vraiment furieux que sournoisement on prenne connaissance de notre correspondance.
Demain je répondrai à ce pauvre Gaucherel et à son père qui m’avait écrit de son côté.
Je suis sûr que tu auras fait quelque chose de charmant pour la couverture de voiture de Marcelle. Ce qui est très gentil aussi ce sont des glands blancs ajustés autour de la capote.
Certes je me souviens des après-déjeuners de Maisse avec le tombereau de Toto dans la carrière de grès et plus loin de la pelouse, du croquet, de Ferrières, de Larmor, etc. quoiqu’il arrive, ce sont des souvenirs qui ne s’effacent pas ; quand le présent manque de charme, on se plaît à les évoquer comme pendant les maussades dimanches d’hiver. J’aimais jadis à revoir les clichés  pris par de belles journées ensoleillées dans un déluge de grand air et de lumière. Le grand air, c’est la seule bonne chose que nous ayons ici même quand il est en tourbillon désordonné par le mistral. C’est lui qui nous soutient dans la fatigue et je crois qu’en dépit de tout il m’aura fait du bien.
Je suis content que tu sois allée avec Yves au jour de maman. Tu as bien fait de le mettre beau. Comme toi, je suis sûr que maman en aura été très contente. Et puis quand on a un gentil petit garçon comme lui on est satisfait au fond de le produire un peu car les compliments qu’on en peut recevoir sont mérités.
Mais où tu me fais sourire c’est quand tu me dis que tu es vieillie ; non tu es toujours la petite « Dot » et une fois la rafale passée, tu auras vite fait de retomber en enfance et de devenir pour moi la sœur aînée de Marcelle.
Je te quitte en t’embrassant mille et mille fois.
Ton Marcel

Bon baisers aux petits.
Amitiés aux mamans.

J’ai eu toutes les peines du monde à trouver des chaussettes de coton écru. Enfin j’ai trouvé quelque chose d’à peu près et pas trop cher (1fr 35) mais peut-être un peu juste. Je n’en ai pris qu’une paire pour voir.


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