Lettre du 30 mars 1917 de Marcel Sibaud

Valréas, le 30 mars 1917

 

Ma petite chérie,
Ce soir je ne me vois pas couché de bonne heure car il y a pour demain un devoir que je suis encore loin d’avoir fini. Mais je ne veux pas manquer de venir causer avec toi.
Dimanche me servira à me mettre à jour, à faire mes paquets, à m’occuper du chemin de fer.
Je viens de recevoir une assez longue lettre de Roussin qui me souhaite avant tout de ne pas venir à Salonique. T. va y venir lui.
Je deviens atrocement gourmand. J’ai déjà fini le gâteau alsacien et entamé biscuits et gâteaux bretons. Il est vrai que Bernados m’a un tout petit peu aidé.
L’élève qui a perdu sa petite fille vient de rentrer. Les conditions dans lesquelles la pauvre petite est morte sont particulièrement pénibles. Rouen regorge de médecins belges ; en revanche on ne peut trouver de médecins français. Sous prétexte que les médecins français ne tolèrent pas la concurrence, les belges refusent absolument tout secours, fût-ce d’un marchand. C’est ainsi qu’on a laissé mourir la petite tout en reconnaissant la possibilité de faire quelque chose. Un médecin français trouvé à sa consultation et dans le salon duquel il y avait foule ne s’est pas dérangé non plus. En même temps que la petite, on enterrait 12 autres enfants.
Ici la bousculade physique diminue un peu. Il est vrai qu’il y a 22 élèves à l’hôpital ; cela a dû calmer un peu l’ardeur des chefs, surtout qu’il y a des cas graves de pneumonie, pleurésie, congestion. Décidemment pour un réformé je ne suis encore pas trop décati.
Le temps a été beau et doux aujourd’hui. Est-ce enfin le printemps. S’il en est de même à Paris, tu as dû pouvoir faire sortir pour la 1ère fois notre chère petite. Que ne pouvais-je être là !
Maman a certainement mal compris ou je me suis mal exprimé. Voici tout ce que je puis espérer de plus. Partir le vendredi, arriver à Paris le samedi en repartir le mardi et encore ce n’est pas décidé.
Je me perds en conjonctures pour les Oudard.
Reçois les mille baisers de ton Marcel.
Amitiés aux mamans, caresses aux petits.

Mon cher petit Yves,
Tu m’as fait bien plaisir en m’annonçant que tu montes tout seul dans ta chaise ; il n’y a plus à dire, tu es vraiment un grand garçon et quand sœurette me verra, elle ne voudra pas croire que c’est moi son papa : elle doit penser que c’est toi. C’est d’ailleurs ton rôle en l’absence de papasonnedat de la protéger et de consoler maman quand elle a des idées noires. Et puis n’as-tu pas un paletot taillé dans la redingote à papa !
Embrasse bien sœurette pour moi et pour toi un baiser dans ton petit cou de poulet.
Ton papa caporal.
MS


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