Lettre du 23 mars 1917 matin d’Emilie Sibaud

Vincennes, le 23 mars 1917
Vendredi matin 10h

 

Mon chéri,
Je t’écris au coin du feu, assise auprès du berceau de notre mignonne. Ce matin il ne faisait pas chaud. Le temps pourtant a l’air plus beau qu’hier, déjà le soleil brille bien et a réchauffé la température. Je pense rester debout toute la journée, c’est que je voudrais être forte quand tu viendras.
J’ai reçu avec un vif plaisir ta longue lettre et sans partager complètement ton enthousiasme, dont pourtant je suis fière, je veux espérer avec toi que c’est la fin du fléau ! Nous avons progressé beaucoup moins des jours-ci, ces sales boches s’accrochent à notre sol et ce sera dur, je crois, de les décrocher ; si seulement ils débarrassaient la France de leur odieuse présence, quelle dévastation derrière eux !
Je partage pour le ressenti l’angoisse de Maria, je vais lui écrire un petit mot, donne moi son adresse dans ta prochaine lettre.
Dieu t’entende quand tu parles de la paix et du triomphe, moi je n’envisage que ton retour et un bonheur tranquille après tant d’angoisses et de peines.
Que la petite lettre que tu as écrite à Yves est jolie. Mais elle m’a faite pleurer. Je la garde précieusement pour leur donner à relire plus tard. Je voudrais bien qu’alors aux larmes se mêle le rire.
Tantôt je vais peser sœurette, je t’enverrai son poids demain. Je ne l’ai pas encore baignée, hier j’ai déjeuné à table, mais dîner dans mon lit. Je n’étais pas trop fatiguée, il faut espérer qu’aujourd’hui je serai encore plus forte.
C’est extraordinaire toujours rien des Oudard ! Et Georges qui ne t’en souffle pas mot, qu’est-ce qu’il peut bien avoir ? En tout cas je ne vois pas ce que personnellement j’ai pu faire de désagréable à Mme et Mademoiselle, il ne faut pas chercher à comprendre.
Je n’ai pas eu la visite de Mme Codechèvre mais je sais qu’elle est très souffrante, la pauvre dame et elle m’a écrite une longue et très gentille lettre, ce n’est pas la même chose.
Alors tu ne vois pas nécessaire que je t’envoie de l’argent avant la fin du mois ?
Sœurette m’avait un peu inquiétée hier, elle avait éternué, mais cela ne s’est pas renouvelé. C’était peut-être la poussière et il me semble qu’Yves a éternué aussi étant tout petit. Elle devient de plus en plus gentille, elle me suit des yeux partout et quand elle tète elle me regarde toujours. Elle ne s’endort qu’une fois remise dans son lit et encore pas tout de suite, elle reste un bon moment les yeux ouverts ; chaque enfant a sa nature, son caractère, ce n’est plus le même genre qu’Yves.
Je crois que tu vas le trouver bien changé, pourvu que tu le trouves à son avantage ; c’est ce que je souhaite. Comme santé il est très bien et devient fort.
Tu me dis que tu as bruni, ça n’est pas un mal, mais j’ai peur de te trouver maigri après tant de surmenage physique, à quand le vrai retour !
Je te quitte pour ce matin laissant un peu de place à Yves pour répondre à ta gentille lettre.
Au revoir mon chéri, je t’embrasse bien fort mille et mille fois.

Tout à toi
Emilie

Mon cher papa,
Ton petit Yves est bien content d’avoir un papasonnedat qui lui écrit de belles lettres. Moi j’aime bien entendre le canon mais maman ne l’aime pas. Je voudrais bien un beau cheval, je lui ferai remettre ses sabots par Monsieur Lygneres ; tu me monteras dessus un cheval noir avec une belle queue et puis un autre beau pour toi ! Et un petit blanc pour sœurette. Oui, je veux bien être artilleur du moment qu’on a un cheval et un canon ! Je t’embrasse bien fort pour nous deux, sœurette et nous te faisons de belles caresses dans tes cheveux et sur tes joues, ton front, baisers de tes petits chéris.
Yves


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