Lettre du 11 mars 1917 d’Emilie Sibaud

Vincennes, le 11 mars 1917
Dimanche

 

Mon chéri,
Je n’ai pas eu le plaisir de te lire aujourd’hui et comme c’est dimanche, il n’y a qu’un courrier.
Dimanche ! Ils sont déjà nombreux les dimanches passés sans toi ! Et qu’ils sont mornes pour moi, on me disait hier que le camp de Mally, je ne sais trop l’orthographe, est évacué, on en fait partir tous les officiers qui l’habitaient, on leur donne des wagons pour emporter leur mobilier, dans 8 jours tout doit être enlevé, c’est le mari de Mme Huet qui vient de passer à Vincennes qui annonce cela, il ne sait pas pourquoi, paraît-il ! On le fait déranger. Si cela pouvait être le commencement de la fin !
Aujourd’hui j’ai fait la grande toilette de sœurette. Elle a beaucoup grossi depuis sa naissance. Je la pèserai aussitôt que je vais me lever. Toujours aussi sage, notre mignonne ; crois-tu que ce matin à 6h monsieur Toto voulait à toute force aller à côté de toi dans le lit ! Impossible de lui faire comprendre que tu n’étais pas là, il pleurait et il disait « j’irai dans mon lit tout seul ! Je n’irai plus promener, j’irai pas au finfer [chemin de fer] chercher mon papasonnedat ! » Enfin le grand désespoir ! Tu crois que sœurette a pleuré, non elle s’est éveillée regardant  droite et à gauche avec  des yeux étonnés. Je l’ai prise croyant qu’elle allait demander à téter, non elle s’est rendormie tranquillement et s’est éveillée pour sa toilette et son repas à 7h ½ comme d’habitude, elle a un air sérieux et un peu dédaigneux pour vous regarder qui est tout à fait drôle ! J’aime Yves pour sa gaieté, son entrain, son caractère ouvert, son intelligence prompte, j’aime notre chère petite Marcelle pour sa douceur, c’est un contraste frappant ; autant Yves criait étant tout petit, autant sœurette est patiente, elle ne crie, mais alors, quelle vigueur ! Elle se rattrape lorsqu’elle est salie ou qu’on la faite attendre trop sa tétée ; elle a une gentille petite figure avec des petites joues rondes. Que ce serait un bonheur pour moi que tu la vois ! Mon Dieu, quand sera le jour du retour, le jour heureux où nous serons tous réunis ! Où tu nous auras serrés dans tes bras et ton grand toto et ta toute petite… et leur maman.
C’est aujourd’hui que tu dois consulter, tu m’écriras ce que l’on t’aura dit, je suis inquiète de ta savoir souffrant.
Je pense voir ta mère aujourd’hui, le temps s’est beaucoup adouci, il fait tiède.
Yves est sorti un peu avec maman ce matin, c’est te dire que la petite est facile ! Il était tout joyeux en rentrant.
Si tu pouvais venir pour Pâques quelle joie ! Nous irions tous te chercher à la gare, tu verrais tout de suite sœurette ! Comme il me semble loin le jour où nus avons été te conduire à la Gare de Lyon ; à ce moment-là j’espérais bien te voir au moment de la naissance ; d’un autre côté te sachant très fatigué à ce moment je craignais que ces voyages durs et répétés ne te fassent du mal.
J’espère que tu vas bientôt recevoir le petit colis que je t’ai envoyé. Yves a voulu absolument te mettre des bonbons.
Je voudrais pouvoir te faire plaisir, t’envoyer quelque chose qui te fasse plaisir ; aussitôt que je vais me relever, je vais t’envoyer une lanterne électrique du bon marché.
Que fais-tu en ce moment, j’essaye de deviner ! Il est 2 heures, je voudrais franchir la distance qui nous sépare ! Es-tu triste ? Ne l’es-tu pas trop ? C’est ce que je te souhaite évidemment je voudrais qu’au moins toi tu ne te fasses pas de soucis, je souffre d’être séparer de toi et en même temps je souffre aussi de penser que toi aussi mon chéri tu es triste de ne pas nous avoir !
Allos, je te quitte il fait que je m’occupe de sœurette Marcelle,  elle t’envoie la caresse de ses jolis yeux et Yves t’embrasse bien fort. Reçois nos plus tendres baisers.

Tout à toi.
Emilie

[Yves]
Mon papa chéri,
Pan ! C’est moi qui vient t’embrasser beaucoup des fois pour petite sœurette aussi, elle est mignonne ; si tu savais comme elle a la peau douce. Je l’aime beaucoup beaucoup. Je suis bien sage mon papa caporal ! Va, encore de gros baisers.
Ton grand Yves

[Emilie]
Lundi matin
Je t’ajoute ce petit mot. Je viens de recevoir ta lettre du 8 mars, j’ai été heureuse d’avoir quelques détails, mais cela m’inquiète de plus en plus pour ta santé. Je t’ai écrit tous les jours sans manquer, mais je vois que tu n’as pas reçu ma lettre du vendredi 2 où je te donne tous les détails sur moi et les petits. En ce qui concerne les Gallo, René doit être plus souffrant. Je leur écris. Je te disais que cela avait été plus court que pour Yves. Peut-être cette lettre finira-t-elle par arriver ! Moi aussi mon aimé je voudrais te voir près de nous.
Nos santés sont toujours bonnes, maman est assez fatiguée comme tu dois le penser même si Marcelle a beau être un petit ange et ne pas donner beaucoup de travail. Je répondrais tantôt plus amplement à ta lettre.
Je t’embrasse bien tendrement.
Emilie


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