Lettre du 5 mars 1917 d’Emilie Sibaud

Vincennes, le 5 mars 1917
Lundi matin

 

Mon chéri,
Je viens de recevoir ta longue lettre, qui m’a causée une grande joie, elle a été un rayon de soleil pour moi, depuis 3 jours j’étais anxieuse d’avoir de tes nouvelles.
Pour répondre à tes questions, je te dirais que notre mignonne a des cheveux noirs comme petit Yves bien fournis, de toutes petites oreilles, le nez moins long que son frère et le teint très clair, je crois qu’elle aura les yeux bleus et ton front. Elle a comme Yves le crâne fort. J’ai tout de suite regardé ses petites mains, elles sont longues comme celles d’Yves, et chose bizarre elle a déjà les mêmes lignes nettes dessinées. Elle a l’intérieur de la main plus plat que lui. Pour le corps, elle a la poitrine très bombée, de tous petits pieds. Maintenant que je te fasse des compliments sur ta fille, elle a dormi toute la nuit de 10h à 6h ½ ; là Yves s’étant éveillé, elle a un peu bougé, je l’ai prise croyant qu’elle allait demander la tétée, elle m’a bien regardée et puis elle s’est remise à dormir jusqu’à 8h ; là elle a tété, puis elle est restée regarder, ensuite on lui a fait sa toilette, elle a de nouveau tété. Mademoiselle sommeille doucement, tandis que je t’écris. Elle est très drôle quand on me la donne pour téter, elle attend d’abord un peu et puis avec sa petite main elle cherche et après la bouche, au bout de quelques minutes alors seulement elle pousse des cris. Je t’écris tout ces petits détails, car je sais bien qu’ils t’intéresseront. Notre fillette s’appelle Marcelle Suzanne Emilie. Les Gallo ont répondu par télégramme. Suzanne est très flattée qu’elle est son nom. Ils n’ont pu encore venir, René a une bronchite assez forte, ils doivent venir cette semaine. Comprends-tu seulement mon écriture ?
M. Huet s’est occupé pour la déclaration et a servi de témoin avec M. Barsar, nous n’avons pas mieux, M. Lombard est malade, revient du midi. Les Huet ont été tout à fait gentils, vendredi matin Mme Huet m’apportent déjà des fleurs.
Comme je crois déjà te l’avoir dit, j’ai commencé à avoir des petites douleurs à 3h ½, à 8h ½ de plus fortes. Mme Huet est allée chercher la doctoresse. Je ne croyais tout de même pas qu’à 10h ½ notre fillette serait là. J’ai naturellement souffert, mais j’étais beaucoup moins fatiguée que pour Yves et j’ai très bien suivi tout ce que l’on a fait à la petite. Elle criait et était bien vivante. Je puis te le dire enfin elle n’a pas fait trop souffrir sa maman. C’est bien gentil à elle. J’ai énormément de lait, je pourrais prendre un « nourrisson ! ». Tout va bien, je te dis plutôt mieux même que pour Yves. J’écrirai un mot au docteur lui disant que cela m’a pris la nuit et qu’il m’a été impossible de le faire prévenir. La doctoresse a été tout à fait aimable, elle m’a dit de la rappeler à ton bon souvenir ; son fiancé est aussi instructeur à Angers à l’école d’officier de réserve du génie, il est capitaine, ingénieur dans le civil lui aussi et espère la fin prochaine. Dieu nous entende. Tant et tant de fois l’espoir a été déçu.
Maman voulait t’écrire mais j’ai voulu d’écrire moi-même chaque jour que tu vois autant que possible notre vie, que tu saches qu’à tout instant ma pensée a été vers toi et puis cela t’es une preuve que je n’ai pas eu de peur et que je vais tout à fait bien, que ni la peur ni les émotions, que nous avons eu malheureusement, n’auront pas nui à notre mignonne.
Il ne fait pas froid en tout les cas nous avons toujours eu de 18 à 22 dans la chambre jour et nuit.
Je vais écrire à Clermont pour leur donner quelques détails. J’ai dû t’écrire qu’Oncle Emile m’a envoyée une dépêche enthousiaste aussitôt reçu la notre. J’avais envoyé en même temps que la tienne.
Tante marie a envoyé des grands bas à Yves, ils sont arrivés vendredi. Il faut que je la remercie.
Il faut que je mette aussi un mot à Devoyod. J’ai reçu l’argent mercredi, et donc depuis je n’ai pas beaucoup écris. Pour ce qui est des autres lettres, j’ai prévenue maintenant Mme Codechèvre, Armelle, les Oudar, Mme Yulles (qui m’avait reçue), Mme B. (qui était venu nous voir au mois de février). J’ai fait prévenir Mme N., A. (sa mère), les autres viendront petit à petit, tu ne vois personne à me dire ? Que je pourrais oublier ?
(Tu sais la petite poupée dort toujours) Elle m’a laissée le temps de t’écrire un peu longuement.
Yves a été bien content du rôle de protecteur que tu lui donnes auprès de sa petite sœur. D’ailleurs il l’avait déjà pris, pas une minute de jalousie, en riant je lui ai demandé s’il voulait téter, il m’a répondu « je suis trop grand. Je ferais bobo à maman, dit non je suis trop grand » (du coup il ne fait plus pipi dans son lit !) et s’endort tout seul, en revanche il a une tendance à devenir plus garçon, il a fait une de ces parties avec Melle Campergue. Ils courraient dans tout l’appartement, elle raffole d’Yves, « il est joli ! Il rit si bien ! Il est si franc ! »
Enfin hier dimanche, il voulait aller se promener avec elle. Il raisonne comme une grande personne et toujours si franc, si clair, bon cœur, mais toujours à rire. Tu le trouverais bien changé. Moi aussi mon chéri, j’aurais bien voulu que tu puisses venir mais ce serait une folie dans ces conditions, si seulement tu pouvais faire […] ces jours-là à Pâques. Mon oncle dirait que tu y aurais droit. Au revoir mon aimé, que ne puis-je t’embrasser réellement que cela me serait doux de t’avoir près de moi. Je te quitte en t’envoyant de bons baisers. Yves et Marcelle de donnent leurs plus tendres caresses.

Tout à toi.
Emilie


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