Lettre du 28 février 1917 de Marcel Sibaud

Valréas, 28.2.1917

 

Ma petite chérie,

Quel métier ! Aujourd’hui encore mistral insensé et cependant il a fallu monter encore à 403 ; on avait chaud en arrivant et nécessité de se coucher par terre en plein vent pendant je ne sais combien de temps. Nous grelottons tous. La rigueur commence à faire sentir ses effets. Escande est couché, on vient de lui faire des ventouses sur les reins ; il geint comme un enfant qu’il est, lui qui mange du nougat toute la journée. Un autre tousse affreusement et a pris le lit. Tous d’ailleurs nous toussons et sommes plus ou moins enrhumés. J’ai mal dormi cette nuit et trop toussé. Ce soir, je vais prendre du sirop Rami et sans doute dimanche je me ferai porter consultant pour me faire ausculter. Je marche par habitude mais j’ai les jambes si lasses que je trébuche facilement. Vivement dimanche que je me repose. Et encore samedi manœuvre de bataillon !
La petite lettre de Toto est très gentille, je vois qu’il fait des progrès en taille et en sagesse.
Le temps est tout refroidi par ce maudit mistral mais il ne gèle pas.
Je te quitte en t’embrassant mille fois et en te souhaitant prochain et heureux débarras.
Ton Marcel

Bons baisers à Toto
Amitiés aux mamans


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Lettre du 27 février 1917 d’Emilie Sibaud

Vincennes, le 27 février 1917
Mardi matin

 

Mon chéri,
Comme tu dois être fatigué par cette journée de samedi, pourvu que l’on ne recommence pas de sitôt ! Et moi pendant ce temps qui était bien tranquille au coin du feu ! J’étais loin de penser que l’on vous faisait marcher ainsi, tu vas être éreinté si cela continue, voici plus de 15 jours que cela dure.
Je suis ta lettre : pour le linge c’est très abordable, la chemise est même moins chère qu’ici, pour les autres objets, c’est la même chose, cela a dû te faire du bien de te laver à fond dimanche. C’est regrettable que vous n’ayez pas de bains dans la ville. A propos de bain, j’avais oublié de te dire le poids d’Yves ; la dernière fois qu’on l’a pesé (20 janvier 17) son poids était de 14.230. Il avait augmenté depuis le 5 novembre de 600 gr. Il  pèse le 24 février 14.975, donc plus 725. Il est très « grassouillet », il a aussi bien grandi, il nous fait quelques tours, par exemple il va allumer l’électricité dans la salle. Heureusement sa figure se charge de vous dire ce qu’il a fait. L’autre jour, dimanche, il a été bien attrapé, ça ne s’est pas allumé. Il a cru qu’il avait « cassé » le bouton, il était désolé, « maman, il est cassé ». Ah, il n’aime pas cassé !
Tu sais, j’ai retrouvé ton petit décimètre blanc que tu croyais avoir perdu.
Tu m’avais dit en effet que le colonel s’appelant à l’orthographe près de Villentroix.
Le missionnaire était sans doute avant vous à Valréas ?
J’ai écris hier à Suzanne, à Armelle et au docteur. Je t’envoie le brouillon de ma lettre, au fond je ne savais pas trop comment lui expliquer mon cas. Crois bien que je ne suis pas fatiguée du tout des petites choses que j’ai faites à Yves, c’est au contraire pour moi une distraction, je m’ennuie aussitôt que je reste quelques instants sans rien faire.
Comme la petite lettre, que tu as écris à notre mignon, est gentille. Il a écouté gravement, il a remarqué que tu avais dit « mon petit Yves » et non pas « mon petit toto », tout souriant il répète « il a dit mon petit Yves, mon petit Yves ».
Souvent lorsque je le vois endormi dans son petit lit, serrant contre lui ton portrait en soldat, je songe combien il te serait doux de le contempler ainsi et je ne peux m’empêcher de pleurer, seule dans le silence de notre chambre, trop grande et vide sans toi. J’évoque malgré moi le temps heureux, pas si lointain où tu étais encore auprès de nous. Souvent je me demande avec regrets si j’ai bien su profiter de ces jours-là. Pardonne-moi si souvent je n’ai pas été avec toi ce que j’aurais pu être. Ce que je puis te dire c’est qu’à cette époque comme maintenant je t’ai toujours aimé autant ; seulement aujourd’hui je sens plus particulièrement combien je t’aime, par la peine que me cause ton absence et pourtant, toute douloureuse qu’elle soit pour moi, je préférerais rester ainsi sans te voir et te savoir hors de danger. Cela sera bien pénible. Il y a des jours où j’ai encore plus mal. Je ne peux pas m’habituer à ne pas te voir chaque jour, aux heures de repas surtout, et le soir c’est là les plus tristes moments. Parfois la nuit, je m’éveille, je rêvais que tout était fini, qu’enfin nous étions réunis. Le réveil est encore plus douloureux.
Mais je t’écris sans savoir ce que je te dis, il faut être indulgent et dans tout mon gribouillage ne retenir qu’une chose c’est que je t’aime. Aussi quand je vois combien tu es surmené, fatigué, cela me fait autant mal, je dirais même plus que si c’était moi qui ressentais ces fatigues.
Je te quitte mon aimé en t’embrassant bien tendrement.

Tout à toi
Emilie
Maman te remercie de tes amitiés et t’envoie les siennes.

Mon cher petit papa
Je viens t’écrire mon petit mot, je suis bien content que tu m’as dit que j’étais ton petit ange. C’est beau ça un ange, ça doit avoir les cheveux frisés, les miens le sont parce que je suis bien propre maintenant. On m’a installé mes sonnedats à Suzanne sur le coffre de la salle. Ils défilent toute la journée et je joue de la trompette devant eux et je leur chante « allez enfants de la patrie » et puis « qui est-ce qui paiera la goutte à la papa, à la patrouille ». Maman m’a pesé. Je pèse presque 15 k. Je voudrais bien aller dans tes grands bars ou sur tes épaules. En attendant je t’embrasse sur tes yeux, et beaucoup des fois.
Ton petit Yves


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Lettre du 27 février 1917 de Marcel Sibaud

Valréas, le 27.2.1917

 

Ma petite chérie,
Je croyais que la journée demeurerait la plus dure de toutes, il n’en est plus rien aujourd’hui. Nous avons en effet manœuvré en terrain montagneux de 6h45 (départ) à 10h30 (retour) et 12h30 (départ) à 5h30 (retour). Et cela par un mistral de tous les diables qui vous glaçait la transpiration sur le dos en dépit du soleil. Décidément on nous entraîne pour la guerre du mouvement. D’ailleurs si on nous fait faire de la guerre de tranchée, on nous prépare surtout à la guerre que nous devrons mener une fois enfoncées les lignes allemandes. D’ailleurs le recul boche commence à se faire sentir. Cet entraînement a déjà semé quelques élèves. Escande est couché, un autre ne vient pas à la manœuvre pour enflure du pied, l’abbé Bouffet s’est luxé la cheville, un autre saignait du nez. Moi-même je me sens les jambes lourdes et n’ai pas très bien dormi cette nuit. Heureusement que l’appétit reste énorme !
En somme je n’ai qu’un bon moment dans la journée, c’est celui où je reçois ta lettre et celle de Toto ! Heureusement je suis à jour mais ce n’est pas sans peine et je suis toujours le 1er lever, sinon le dernier couché car il y en a qui veille plus.
Je ne me souviens plus si je t’avais demandée de m’envoyer le petit dictionnaire Gazier qui doit être dans la cheminée du salon.
D’autre part dans mes cartes postales, j’avais fait un tri des belles que je t’envoyais et des ordinaires que je pensais conserver pour envoyer de divers côtés ; je ne retrouve plus ces dernières. Ne les aurais-je pas jointes par erreur à mon petit paquet.
Franchement je crois que ce serait gaspiller que de prendre maintenant de jolies molletières. Songe que nous devons ramper sur les cailloux, dans les ronces sans que le corps se soulève rien qu’en se cramponnant par les coudes, les genoux et le bout des pieds. Je dois dire que le capitaine n’hésite pas à donner l’exemple malgré l’élégance de son uniforme et il avance ainsi à une vitesse surprenante presque rien qu’avec les coudes.
Les 50 francs que tu m’annonces sont très largement suffisant puisque j’ai encore plus que de quoi payer ma chambre ; il me reste environ 25 francs. Tu as l’air de croire le capitaine plus dur qu’il n’est en réalité ; il se trouve avoir à instruire des « illettrés » militaires comme on nous appelle et il est obligé de mettre les bouchées doubles pour faire de nous des officiers en 3 mois. Il paraît d’ailleurs que le colonel a trouvé que la section n’était pas mauvaise mains que précisément il fallait pousser l’instruction sur le terrain.
J’ai vu aujourd’hui un liseur de carte idéal. J’en prendrai un comme cela si je suis nommé et même peut-être si je devais rester sergent. Mais c’est un peu cher : 25 francs.
Pour La Palud, je me suis renseigné sauf instruction contraire, la gare me donnera bien un billet ; mais il faudrait que je demande ma permission comme devant aller à bicyclette et cette entorse à la vérité m’ennuie ; surtout ici. Et puis cela me fait deux repas dehors ce qui même ici coûte cher ; en tout cas le trajet à pied serait assez court. Mais je n’ai pas encore eu le temps d’écrire.
Tu me parles de la voiture aux chèvres : est-ce qu’il est toujours question de la maman brebis et de la maman chevrette et du petit garçon qui est allé dans la montagne ?
Je t’assure pour répondre à ta lettre que je ne manque de rien ; quelques plumes peut-être mais c’est insignifiant.
Moi aussi je serais, je t’assure, bien content de nous voir au bord de la mer, d’une mer au fond de laquelle on aurait coulé le dernier sous-marin boche. Vois-tu d’ici les petits se poursuivant au bord de la mer et creusant des trous dans le sable. Ah je t’assure que si comme tout le monde y compte ici et comme on nous l’assure bien, nous pénétrons en Bochie, nous leur ferons payer cher les années qu’ils auraient gâtées.

Je te quitte ma petite chérie. Le mistral fait rage, je crois que même à Quiberon, il n’y avait pas un vent pareil ; tout tremble.
Mille baisers de Ton Marcel.

Caresses à Yves et au petit car il sera sans doute là à l’arrivée de cette lettre. Quand le connaîtrai-je ?
Amitiés aux mamans.


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Lettre du 26 février 1917 d’Emilie Sibaud

Vincennes, le 26 février 1917
Lundi matin

 

Mon chéri,
J’ai communiqué à Yves tes compliments auxquels il a été très sensibles, hier il a dit à ta mère que tu allais être « général » ! légère erreur !
Le temps s’étant maintenu beau hier après-midi, j’ai été jusqu’à St-Mandé. Toto te racontera du reste sa promenade dans sa petite lettre.
Je vois qu’Argena ne t’oublie pas, je crois que personne ne tient à Salonique. Je vois que lorsque c’est un point qui l’intéresse M. Codechèvre est un peu plus causeur. Je vais écrire ces jours-ci à Madame Codechèvre pour lui demander de ses nouvelles et ce qu’il est advenu pour son fils.
Pour M. Drahonnet je sais seulement par sa femme qu’il a été blessé deux fois, la première fois plus gravement. C’est là qu’il a eu la légion d’honneur. Je sais aussi comme je te l’ai dit qu’il va être affecté au ministère de la guerre désormais, qu’ils vont aller habiter Paris. En tout les cas j’en parlerai à ta mère.
Je suis bien contente que ton croquis panoramique est été noté bien.
A propos de température quel temps avez-vous là-bas ? Ici il ne fait pas froid du tout, de temps en temps un peu pluvieux voilà tout
J’écris au docteur, lettre d’ailleurs un peu évasive. Je vais retourner voir la doctoresse. Je crois que ce bébé-ci fait comme Yves, il se fait attendre. Je veillerai à ce qu’on le pèse. Son petit moïse [berceau portatif en osier capitonné] est là qui attend, bien douillet… Yves m’a beaucoup aidée…de ses conseils.
Je peux très bien si cela te plaît te prendre une petite lampe au bon marché par exemple où certainement il y aurait des piles de rechange.
Moi aussi, mon chéri, je regrette bien ton éloignement, ta présence aurait été pour moi, dans ce moment douloureux, un réconfort ; enfin que veux-tu, nous ne pouvons rien y échanger. Si seulement tu pouvais venir, il est vrai que d’un autre côté ce n’est pas sans effort que je vois les longues fatigues que tu auras pour si peu de temps parmi nous. Si l’événement tarde encore tu ferais peut-être mieux de […] ceux de Pâques, enfin tu verras ! Je te quitte mon chéri en t’embrassant bien tendrement.
Tout à toi

Emilie

Lettre d’Yves
26.2.1917

Mon chéri papa,
Pan ! J’ai fait beaucoup de choses hier, j’ai été aux chevaux de bois, à la voiture aux chevrettes, à Guinol. J’ai goûté une gaufre. Il y avait un petit garçon qui avait son papa sonnedat qui me prenait pour une petite fille mais je lui ai dit que j’étais un garçon et que j’avais moi aussi un papa sonnedat mais beau, beau avec un barda, un gros sac, des musettes grosses, grosses.
On a pris le train à Guinol. En rentrant j’ai vu grand-mère Sibaud. J’ai pas dormi dans la journée. Je suis un jeune homme. En rentrant j’ai mis le petit tablier que ma maman m’a fait toute seune [seule]. Je l’ai mis. Je pense bien à toi. Je sais mes doigts de la main : le « poute », l’index, le major [majeur], l’annulaire, l’auriculaire, le « tout petit » comme toto.
Au revoir mon papa chéri.
Ton petit Yves


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Lettre du 26 février 1917 de Marcel Sibaud

Valréas, le 26.2.1917

 

Ma petite chérie,

2 mots à la hâte pour te remercier de tes 2 lettres et remercier aussi Toto de la sienne. Aujourd’hui manœuvre en tranchée aller-retour en auto heureusement car c’était assez fatiguant ; dire que demain matin et soir nous allons à la cote 403 ! Heureusement mon rhume n’aura été je crois qu’une fausse alerte comme j’ai quelques fois quand je me lave à froid. Pour répondre à ta question, je te dirai que je dors bien. Merci du colis que tu m’annonces, il sera le bienvenu et me servira pour les goûters car j’ai toujours faim. J’enverrai un jour ou l’autre une carte à M. et Mme Huet.
Mes chaussettes sont encore intactes. Je ne sais quand je pourrai faire la feuille pour l’impôt sur le revenu. Enfin je verrai, 10 heures sonnent.
Je t’embrasse mille fois.
Ton Marcel

Baisers à Toto.
Amitiés aux mamans.

Il me semble que l’autre bébé se fait attendre.


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