Lettre du 27 février 1917 d’Emilie Sibaud

Vincennes, le 27 février 1917
Mardi matin

 

Mon chéri,
Comme tu dois être fatigué par cette journée de samedi, pourvu que l’on ne recommence pas de sitôt ! Et moi pendant ce temps qui était bien tranquille au coin du feu ! J’étais loin de penser que l’on vous faisait marcher ainsi, tu vas être éreinté si cela continue, voici plus de 15 jours que cela dure.
Je suis ta lettre : pour le linge c’est très abordable, la chemise est même moins chère qu’ici, pour les autres objets, c’est la même chose, cela a dû te faire du bien de te laver à fond dimanche. C’est regrettable que vous n’ayez pas de bains dans la ville. A propos de bain, j’avais oublié de te dire le poids d’Yves ; la dernière fois qu’on l’a pesé (20 janvier 17) son poids était de 14.230. Il avait augmenté depuis le 5 novembre de 600 gr. Il  pèse le 24 février 14.975, donc plus 725. Il est très « grassouillet », il a aussi bien grandi, il nous fait quelques tours, par exemple il va allumer l’électricité dans la salle. Heureusement sa figure se charge de vous dire ce qu’il a fait. L’autre jour, dimanche, il a été bien attrapé, ça ne s’est pas allumé. Il a cru qu’il avait « cassé » le bouton, il était désolé, « maman, il est cassé ». Ah, il n’aime pas cassé !
Tu sais, j’ai retrouvé ton petit décimètre blanc que tu croyais avoir perdu.
Tu m’avais dit en effet que le colonel s’appelant à l’orthographe près de Villentroix.
Le missionnaire était sans doute avant vous à Valréas ?
J’ai écris hier à Suzanne, à Armelle et au docteur. Je t’envoie le brouillon de ma lettre, au fond je ne savais pas trop comment lui expliquer mon cas. Crois bien que je ne suis pas fatiguée du tout des petites choses que j’ai faites à Yves, c’est au contraire pour moi une distraction, je m’ennuie aussitôt que je reste quelques instants sans rien faire.
Comme la petite lettre, que tu as écris à notre mignon, est gentille. Il a écouté gravement, il a remarqué que tu avais dit « mon petit Yves » et non pas « mon petit toto », tout souriant il répète « il a dit mon petit Yves, mon petit Yves ».
Souvent lorsque je le vois endormi dans son petit lit, serrant contre lui ton portrait en soldat, je songe combien il te serait doux de le contempler ainsi et je ne peux m’empêcher de pleurer, seule dans le silence de notre chambre, trop grande et vide sans toi. J’évoque malgré moi le temps heureux, pas si lointain où tu étais encore auprès de nous. Souvent je me demande avec regrets si j’ai bien su profiter de ces jours-là. Pardonne-moi si souvent je n’ai pas été avec toi ce que j’aurais pu être. Ce que je puis te dire c’est qu’à cette époque comme maintenant je t’ai toujours aimé autant ; seulement aujourd’hui je sens plus particulièrement combien je t’aime, par la peine que me cause ton absence et pourtant, toute douloureuse qu’elle soit pour moi, je préférerais rester ainsi sans te voir et te savoir hors de danger. Cela sera bien pénible. Il y a des jours où j’ai encore plus mal. Je ne peux pas m’habituer à ne pas te voir chaque jour, aux heures de repas surtout, et le soir c’est là les plus tristes moments. Parfois la nuit, je m’éveille, je rêvais que tout était fini, qu’enfin nous étions réunis. Le réveil est encore plus douloureux.
Mais je t’écris sans savoir ce que je te dis, il faut être indulgent et dans tout mon gribouillage ne retenir qu’une chose c’est que je t’aime. Aussi quand je vois combien tu es surmené, fatigué, cela me fait autant mal, je dirais même plus que si c’était moi qui ressentais ces fatigues.
Je te quitte mon aimé en t’embrassant bien tendrement.

Tout à toi
Emilie
Maman te remercie de tes amitiés et t’envoie les siennes.

Mon cher petit papa
Je viens t’écrire mon petit mot, je suis bien content que tu m’as dit que j’étais ton petit ange. C’est beau ça un ange, ça doit avoir les cheveux frisés, les miens le sont parce que je suis bien propre maintenant. On m’a installé mes sonnedats à Suzanne sur le coffre de la salle. Ils défilent toute la journée et je joue de la trompette devant eux et je leur chante « allez enfants de la patrie » et puis « qui est-ce qui paiera la goutte à la papa, à la patrouille ». Maman m’a pesé. Je pèse presque 15 k. Je voudrais bien aller dans tes grands bars ou sur tes épaules. En attendant je t’embrasse sur tes yeux, et beaucoup des fois.
Ton petit Yves


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