Lettre du 27 mars 1917 de Marcel Sibaud

Valréas, le 27 mars 1917

 

Non vraiment quelque soit le sort qui m’attende après Valréas, je ne regretterai pas ce satané pays. Outre l’éloignement, le climat est affreux ; et puis enfin le régime est plutôt embêtant pour un homme de mon âge qui n’est pas un petit garçon.
Aujourd’hui temps couvert humide et froid. Il nous pleuvait tellement sur le dos à la manœuvre qu’on s’est décidé à nous faire rentrer plus tôt.
Pour comble je n’ai pas eu le plaisir de te lire aujourd’hui, je ne m’en inquiète pas trop car je connais les écarts de la poste actuellement. Mais la journée manque de cette agréable coupure. J’ai reçu un mot de M. Bornot à qui j’avais écrit, mot très aimable.
J’ai déniché aujourd’hui un certain fromage qu’on me dit d’Auvergne, qui ne coût pas trop cher et qui fait mes délices surtout qu’ici en fait de pain rassis on a du pain chaud. Comme tu le vois, je me soigne ; c’est mon seul agrément ici.
Je maudis d’autant plus le temps que je suis sur le point d’avoir un nouveau rhume : ce doit être le vent épouvantable de samedi qui m’a taquiné les muqueuses ; mais je ne mouche pas en fontaine ; non c’est un gonflement plutôt et j’espère que cela ne me refera pas tousser.
Dimanche Bernados veut aller à Nyons pour prendre un bain. Comme je pense bien en prendre un en arrivant à Paris la semaine suivante, cela ne me dit rien. D’ailleurs pour aller à Nyons, c’est une bousculade et puis on serait trop nombreux ; je resterai donc sauf à « baguenauder » un peu si le temps est bon.
Aujourd’hui, le capitaine m’a rendu mon carnet. Enfin il m’a mis un bien ! Ca a été dur ; je vais tâcher d’avoir un très bien la prochaine fois.
Je te quitte ma petite chérie en t’embrassant bien affectueusement ainsi que les tout petits.
Ton Marcel

Amitiés aux mamans.


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Lettre du 26 mars 1917 d’Emilie Sibaud

Vincennes, le 26 mars 1917
Lundi matin

 

Mon chéri,
Je viens de recevoir ce matin ta carte qui aurait dû me parvenir hier au courrier de 3h ½, mais comme  le dimanche il n’y en a que le matin, je n’ai donc pas eu la joie d’avoir de tes nouvelles hier.
Te voilà encore dans la bousculade et avec cela du vilain temps, comme c’est ennuyeux. Aujourd’hui il pleut, une sale pluie fine, plutôt une bruine mais il ne fait pas froid. Hier Yves est allé à Saint-Mandé avec maman. Je l’avais habillé en blanc, tout le monde le regardait. Le blanc le fait ressortir, il était vraiment mignon comme cela. Moi je suis restée au coin du feu avec sœurette à penser à l’absent. J’aime ma solitude. Je puis me retirer en moi-même et être tout à toi, tien je t’écris encore des bêtises !
Cette destination des redoublants aux Sénégalais ne me dit rien, il est vrai qu’en ce moment et encore davantage un peu plus tard, le front français sera durci, on dit même plus durci que Salonique. Je crois qu’en ce moment rien n’est bon !
Ne t’inquiète pas de mes malaises, ils deviennent de moins en moins fréquents. Je vois bien maintenant quand aux causes d’inquiétudes, malheureusement cela on n’y peut rien ; quelle vilaine époque que nous vivons ! On se demande comment on existe encore, en presque bonne santé ! Nos chers petits sont pour moi le meilleur réconfort. Ils sont ma raison d’être, je crois que si je ne les avais pas, je ne pourrais rien faire ; la pensée tourmentée passant du noir au bleu, de l’espoir au désespoir essayant de percer l’avenir.
Partout notre offensive a fait naître des espoirs. On parle beaucoup qu’il n’y aurait pas une campagne d’hiver. Serait-ce vrai ? Je n’ose l’espérer, mais je le souhaite de toutes mes forces de tout mon cœur. Dieu fasse que le Noël prochain nous soyons réunis tous autour de la cheminée à contempler l’étonnement ravi de Toto devant les joujoux nouveaux trouvés dans ses petits souliers, en attendant qu’au suivant Marcelle joigne les siens.
Hier j’ai écrit à Clermont, je te mets le brouillon. Ils sont tous bien affectueux et bien aimables pour nous et les petits. Les Bellet sont forts de nous envoyer des programmes, comme si leur cabotinage avait quelque chose d’intéressant pour nous. Ce serait ridicule, pour ne pas dire ironique si je ne connaissais leur bêtise !
Je pensais sortir aujourd’hui, aller jusqu’à la poste avec Yves mettre ta lettre, mais vu le temps, je me demande si j’irai pour une première sortie, ça ne serait peut-être pas tout indiquer !
J’espère te lire plus longuement à 3h ½, à moins qu’il n’y ait encore un dérangement dans la poste ! On ne sait jamais.
Si tu viens à Pâques, il n’y a plus longtemps avant de te voir. D’un autre côté mon impatience est grande de te voir, d’un autre côté je me dis que cela avance ton départ de l’école alors… je ne sais plus que souhaiter surtout avec la perspective des Sénégalais au bout, mais qui sait, peut-être que l’on pourrait faire autre chose. Je voudrais bien pouvoir causer un peu avec toi autrement que par lettre, savoir un peu comment l’on procède pour vous incorporer et bien d’autres choses encore.
Tu vas sans doute recevoir bientôt ton colis.
Entre ceux qui ont des maladies diplomatiques et toi qui te force certainement de trop, il y a de la marge, pourquoi te fatigues-tu à ce point, il y a des limites même à la plus grande énergie. Ce n’est pas pour te blâmer des efforts que tu fais pour te maintenir mais quel intérêt as-tu à sortir plus vite de l’école ?
Décidemment le temps continue à être à la pluie, je ne crois pas que je sorte. Cela ne me dis pas grand-chose.
Je vais rester travailler au coin du feu. J’ai toujours beaucoup à faire. Je ne sais comment cela se fait ! Mais je ne parviens jamais à remplir le programme que je me trace ! Heureusement cela m’occupe !
Je te quitte mon chéri en t’embrassant bien tendrement, que j’aimerais me blottir contre toi, chercher en toi l’appui, la protection que j’étais habituée à trouver, que ce serait bon d’oublier pour quelques instants l’heure présente, de s’aimer comme autrefois sans songer à demain. Encore une fois reçois mes meilleurs baisers et les caresses de tes chers tout petits.

Tout à toi.
Emilie


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Lettre du 26 mars 1917 de Marcel Sibaud

Valréas, le 26 mars 1917

 

Ma petite chérie,
Ce pays est vraiment drôle : ce matin temps couvert pas de vent, frais mais supportable ; pour la journée le soleil a percé, journée plutôt chaude ; ce soir temps de nouveau couvert, frais mais sans vent. Que n’est-ce toujours ainsi.
J’espère que la fatigue que tu ressentais vendredi soir n’a pas eu de suite fâcheux. Ne te fatigue pas trop. Plus qu’une maison bien en ordre je tiens à trouver  une petite maman parfaitement rétablie.
Tu me fais grand plaisir à me raconter les petites histoires de toto. Pauvre petit qui souhaite avoir un binocle. Qu’il ne pousse pas si loin l’imitation, c’est trop embêtant.
Tu me dis qu’il comprend ; cela me rappelle une chose que je voulais te signaler et à laquelle tu as certainement pensé : il est inutile qu’il soit présent quand tu arranges la petite.
Bernados est très sensiblement de mon âge ; il est marié sans enfants ; c’est un mariage un peu comme le notre : il a connu sa femme très jeune. Est-ce qu’elle l’est restée ? Est-ce qu’il est autoritaire ? Mais il semble la tenir en tutelle très étroite. Il a été 2 ans en Amérique du Sud, s’étant fait mettre en disponibilité. Il est mobilisé depuis le début et est assez fatigué. Il ne travaille pas beaucoup ayant coutume de se coucher de bonne heure et de se lever tard. Il vient de savoir aujourd’hui ses notes qui sont bonnes, ce qui ne m’étonne pas car il est très intelligent. Les voici : calme et froid, énergique, esprit clair. Peut faire un officier. Ce sont d’excellentes notes pour un futur officier.
Je suis aussi très bien avec un nommé Frère, 1er prix de conservatoire pour la diction, je coirs ; il n’est pas très fort mais c’est un charmant garçon.
Les confitures que tu m’annonces me font bien plaisir ; comme quand j’étais au lycée, c’est encore ce que je préfère entre 2 morceaux de pain. Le pâté est parfait pour le matin. Quand au savon mon 1er morceau est encore presque intact, c’est te dire que je n’en manque pas. Ne te tourmente pas pour le pain d’épices ; si j’en voulais, j’en trouverais ici mais tu me connais bien en pensant que ton envoi nécessite d’aller chercher des provisions.
Je vais peut-être avoir à faire une dépense assez forte ; il me faudrait une boussole ; on peut en avoir pour 6fr 50 mais pour en avoir une bien ce serait une carrée de 21,50 ; boussole Peigné qu’on vent chez Berger Levrault. Je me demande si  je dois faire une pareille dépense ; peut-être maman aurait-elle une réduction comme institutrice. Tu pourrais peut-être lui en parler pour le cas où elle irait à Paris.
Si mes souvenirs pour Toto son exacts, le poids de Marcelle me paraît magnifique : à 3 semaines Yves ne pesait je crois que 3kgs 750 et passait pour un bel enfant, 600 gr de plus c’est merveilleux et je suis heureux de complimenter la petite maman.
Je te quitte ayant un devoir à mettre au net. Un autre va nous tomber jeudi ; le bourrage reprend.

Mille baisers de ton Marcel.
Baisers aux petits.
Amitiés aux mamans.


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Lettre du 25 mars 1917 de Marcel Sibaud

Valréas, le 25 mars 1917

 

Ma petite chérie,
Aujourd’hui repos physique complet. Levé seulement à 7 heures en raison de l’avance de l’heure. Ciel pur mais toujours du vent et un froid de canard. Cela m’a décidé à ne pas bouger. J’ai fait ma toilette ; les chaussettes blanches sont vraiment une chose très pratique. Bien que n’ayant pu me laver dimanche dernier, j’étais absolument propre. Recousu quelques boutons, coup de brosse à mes souliers, à mon fusil, corvée de blanchissage. Cela m’a mené au déjeuner à 10 heures. Eté voir le communiqué toujours très bon. Puis travail, mise à jour. Mais bien frais ! Enfin reçu ta lettre.
Je vois que vous n’avez pas chaud non plus : l’hiver se prolonge ; or ici un dicton à cours d’après lequel un hiver rigoureux en temps de guerre est le dernier de la guerre. Il ne faut pas t’étonner que la progression soit moins rapide. Tu penses bien qu’on ne peut avancer que prudemment dans le chaos des routes bouleversées, des champs et des villages ruinés, etc. Pour ne pas courir au devant des pires dangers, il faut rétablir les communications pour que les munitions puissent arriver en masse. Or il semble que nous y parvenons fort bien puisque 2 forts de La Férée sont tombés. Les Allemands avaient dû les organiser aussi bien que possible ; si nous les avons pris, c’est je suppose que notre grosse artillerie nous suit pas à pas. Or je coirs bien que La Férée est sur une ligne de résistance sur laquelle comptaient les boches. Nous les menaçons sérieusement. Il semble qu’une grande bataille soit proche, bataille à ciel ouvert comme La marne et alors le résultat ne paraît pas douteux. Cette bataille perdue, ce serait pour eux un recul énorme ! La France purgée avant que je quitte l’école !
L’adresse de Maria est Mme Heckel 86 bis Boulevard de la Liberté à Sens (Yonne).
J’attends avec impatience le résultat de la pesée de sœurette. Je suis heureux de savoir que tu te remets bien.
Je comprends ton ennui en entendant éternuer la mignonne ; un rhume eut été bien ennuyeux ; tant mieux su ce n’est rien. N’hésite pas à vous chauffer tant que besoin est. D’après ce que tu me dis d’Yves, je ne doute pas de trouver qu’il a changé, c’est à son avantage. Je serai vraiment content, bien content de le revoir campé dans sa petite culotte et se mettant à bafouiller à force de vouloir dire des choses.
Je ne saurais te dire si j’ai maigri ou engraissé. Je mange beaucoup et ai bon appétit mais je dépense tant que je ne crois pas avoir gagné. Heureusement je me sens bien et ne tousse pas du tout.
Je te quitte ma petite chérie en t’embrassant de tout cœur bien des fois ainsi que les petits.
Ton Marcel


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Lettre du 24 mars 1917 d’Emilie Sibaud

Vincennes, le 24 mars 1917

 

Mon chérie,
J’ai reçu ta lettre à 3h ½, j’allais répondre aussitôt, quand j’ai en été empêchée. D’abord le facteur apportait 2 colis de Clermont le petit paletot de Marie et des bas pour Yves et sœurette de Tante Marie. Ensuite les Gallo sont arrivés apportant des brassières pour sœurette et un livre amusant et du chocolat pour Yves. Suzanne a gardé sœurette sur ses genoux presque tout le temps, elle n’a pas pleuré une minute. J’ai su ce qu’avait écrit mon oncle, qu’il te connaissait intimement depuis longtemps, qu’il avait pu t’apprécier, etc. que tu étais d’une santé délicate et que très énergique tu irais jusqu’au bout, mais qu’il avait entendu dire que Valréas était très dur et qu’il espérait que l’on aurait quelque ménagement pour toi, enfin c’était tourné certainement mieux que moi. J’ai cru comprendre que le capitaine lui avait répondu et il n’a pas l’air de trouver mal la réponse, alors je n’y comprends plus rien !

Dimanche matin
Hier j’ai pesé sœurette, je crois qu’on t’écrivant trop vivement, j’ai fait une erreur, c’est 4 k 300 g qu’elle pèse toute nue. Je l’ai noté pour ne plus oublier, elle est plus forte qu’Yves au même âge ; il ne pesait pas tout à fait 4 k.
J’oubliais de te dire que mon oncle a l’air content des progrès sur notre front et espère qu’il n’y aura pas de campagne d’hiver et compte plus sur son influence pour toi au corps qu’à Valréas où en somme il n’y a qu’à la sortie que le ministère puisse faire quelque chose. Il pense qu’il n’y a pas de raison pour que tu ne viennes pas à Pâques, que tu as toujours droit à la permission de naissance.
Je suis bien ennuyée de songer que ton dimanche va peut-être encore se passer à travailler. Est-ce que c’est bien comme note « assez bien » ? Moi je ne me rends pas compte, en tout cas tu peux dire qu’il est bizarre ! ton capitaine !
Comme toi mon chéri, je suis heureuse que nous ayons nos chers petits, de les voir si beaux et puis pour moi c’est un peu de toi, de ta personne que je garde aussi vers moi, qui revis en eux.
C’est dimanche ! Le soleil brille, j’ai mis le berceau de Marcelle au soleil dans la chambre de maman. Je t’écris près d’elle, malgré le ciel uniformément bleu mon cœur reste gris, le dimanche encore plus particulièrement si cela se peut. Je ressens plus vivement ton absence. Je me sentais une folle envie de pleurer en habillant sœurette, en la voyant si jolie dans toute cette blancheur. Je ne pouvais m’empêcher de songer qu’à Yves tu étais à côté de moi, que tu partageais ma joie de découvrir chaque jour un progrès nouveau. A quoi bon regarder toujours derrière soi ! Il faut espérer en l’avenir ! Se dire que les beaux jours reprendrons ! Que nous serons encore réunis ! Que nous pourrons encore être heureux.
Je te quitte mon chéri. Je ne te lirai pas aujourd’hui. Le dimanche, ce n’est pas [?]. J’ai vu ta mère hier au soir, elle est venue parce qu’elle ne viendra pas aujourd’hui. Elle va toujours, je crois.
Au revoir, à bientôt de tes bonnes nouvelles. Je t’embrasse mille et mille fois. Yves et notre petite « Tranquille » t’envoient leurs plus tendres caresses et leurs plus beaux baisers.

Tout à toi.
Emilie


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