Lettre du 24 mars 1917 d’Emilie Sibaud

Vincennes, le 24 mars 1917

 

Mon chérie,
J’ai reçu ta lettre à 3h ½, j’allais répondre aussitôt, quand j’ai en été empêchée. D’abord le facteur apportait 2 colis de Clermont le petit paletot de Marie et des bas pour Yves et sœurette de Tante Marie. Ensuite les Gallo sont arrivés apportant des brassières pour sœurette et un livre amusant et du chocolat pour Yves. Suzanne a gardé sœurette sur ses genoux presque tout le temps, elle n’a pas pleuré une minute. J’ai su ce qu’avait écrit mon oncle, qu’il te connaissait intimement depuis longtemps, qu’il avait pu t’apprécier, etc. que tu étais d’une santé délicate et que très énergique tu irais jusqu’au bout, mais qu’il avait entendu dire que Valréas était très dur et qu’il espérait que l’on aurait quelque ménagement pour toi, enfin c’était tourné certainement mieux que moi. J’ai cru comprendre que le capitaine lui avait répondu et il n’a pas l’air de trouver mal la réponse, alors je n’y comprends plus rien !

Dimanche matin
Hier j’ai pesé sœurette, je crois qu’on t’écrivant trop vivement, j’ai fait une erreur, c’est 4 k 300 g qu’elle pèse toute nue. Je l’ai noté pour ne plus oublier, elle est plus forte qu’Yves au même âge ; il ne pesait pas tout à fait 4 k.
J’oubliais de te dire que mon oncle a l’air content des progrès sur notre front et espère qu’il n’y aura pas de campagne d’hiver et compte plus sur son influence pour toi au corps qu’à Valréas où en somme il n’y a qu’à la sortie que le ministère puisse faire quelque chose. Il pense qu’il n’y a pas de raison pour que tu ne viennes pas à Pâques, que tu as toujours droit à la permission de naissance.
Je suis bien ennuyée de songer que ton dimanche va peut-être encore se passer à travailler. Est-ce que c’est bien comme note « assez bien » ? Moi je ne me rends pas compte, en tout cas tu peux dire qu’il est bizarre ! ton capitaine !
Comme toi mon chéri, je suis heureuse que nous ayons nos chers petits, de les voir si beaux et puis pour moi c’est un peu de toi, de ta personne que je garde aussi vers moi, qui revis en eux.
C’est dimanche ! Le soleil brille, j’ai mis le berceau de Marcelle au soleil dans la chambre de maman. Je t’écris près d’elle, malgré le ciel uniformément bleu mon cœur reste gris, le dimanche encore plus particulièrement si cela se peut. Je ressens plus vivement ton absence. Je me sentais une folle envie de pleurer en habillant sœurette, en la voyant si jolie dans toute cette blancheur. Je ne pouvais m’empêcher de songer qu’à Yves tu étais à côté de moi, que tu partageais ma joie de découvrir chaque jour un progrès nouveau. A quoi bon regarder toujours derrière soi ! Il faut espérer en l’avenir ! Se dire que les beaux jours reprendrons ! Que nous serons encore réunis ! Que nous pourrons encore être heureux.
Je te quitte mon chéri. Je ne te lirai pas aujourd’hui. Le dimanche, ce n’est pas [?]. J’ai vu ta mère hier au soir, elle est venue parce qu’elle ne viendra pas aujourd’hui. Elle va toujours, je crois.
Au revoir, à bientôt de tes bonnes nouvelles. Je t’embrasse mille et mille fois. Yves et notre petite « Tranquille » t’envoient leurs plus tendres caresses et leurs plus beaux baisers.

Tout à toi.
Emilie


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