Lettre du 29 mars 1917 de Marcel Sibaud

Valréas, le 29 mars 1917

 

Ma petite chérie,
Nouveau changement de temps, celui-là moins désagréable : matinée fraîche, après-midi sans vent chaude. C’était vivable. Manœuvre calme.
Je ne sais encore quand je pourrai arriver à Paris. J’attends dimanche pour acheter un indicateur au 1er avril. Lundi je demanderai ma permission et mon ordre de route.
Quelle voix a donc Marcelle si celle d’Yves n’était rien à côté ! A ce que tu me dis, elle serait plus bel enfant que Toto, mais alors c’est une merveille. Tu as encore dû te fatiguer à faire un manteau pour la petite, mais pour moi parée de ta main, elle n’en sera que plus jolie. Tu as aussi bien fait d’utiliser ma vieille redingote. Cela doit faire à Yves un très joli vêtement. En fait de vêtements, peut-être serait-il bon de jeter un coup d’œil aux miens depuis le temps qu’ils dorment ! Je me demande où je logerai mes affaires militaires.
Quel ennui que le charbon. N’avez-vous pas froid au moins ?
Ce soir je me suis laissé défaucher par le 1er prix de conservatoire. Nous avons pris ensemble du thé et des gâteaux fins. Je le lui rendrai dimanche.
Ce matin j’ai goûté en route 2 œufs tout chauds exquis. Je tâcherai d’en apporter à Pâques.
Je te quitte ma petite chérie en t’embrassant mille et mille fois.
Ton Marcel


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Lettre du 28 mars 1917 au soir d’Emilie Sibaud

Vincennes, le 28 mars 1917
Mercredi soir

 

Mon chéri,
Je t’écris avant d’aller dormir, Toto dort depuis 7h ½, sœurette sommeille pour le moment, mais elle vient de crier. Elle a trop tété à sa dernière tétée et ça doit être dur à passer. Elle tète très vite pour commencer et elle se fait mal. C’est du moins ce que je pense, quoique rien n’indique qu’elle souffre. Elle grossit à vue d’œil, seulement comme elle est assez sage d’ordinaire, je me dis lorsqu’elle pousse des cris : ce ne peut être que quelques coliques ! Mais la voici je crois bien calme, elle dort. Au fait son éternuement n’a pas été suivi d’autres, elle n’a pas l’air d’être sujette au rhume elle non plus.
Dieu t’entende si l’hiver rigoureux que nous venons de traverser était le dernier de la guerre !
J’ai vu aujourd’hui Gabrielle M., son mari part le 10, aussi elle est bien inquiète.
Yves est allé promener avec maman. Demain s’il fait beau, je peux aller avec lui, un peu au soleil, voir la température qu’il fait, pour pouvoir sortir notre mignonne ensuite. L’air me fera certainement du bien. Je me sens mieux, je reste debout toute la journée et j’ai repris mes occupations ordinaires, en plus celles de faire la toilette et donner les repas à sœurette. Elle est si gentille allongée sur mes genoux, tendant ses petits pieds vers le feu, je lui mets déjà depuis 8 jours des bas et des chaussons. Elle aime beaucoup bouger les jambes et n’aime pas être maintenues en quoi que ce soit. Elle a déjà de la force, elle repousse ses draps avec ses petites mains quand je lui mets trop haut et elle se retourne dans son lit. Bien la voilà qui a ouvert les yeux, elle regarde, elle sait bien qu’elle doit bientôt téter, la petite maligne. Ça sera ça dernière pour aujourd’hui.
Je te quitte pour ce soir mon chéri, car il faut que je la change avant de me coucher et demain Yves s’éveille à 7h au plus tard.

Jeudi matin 10h
Je reprends seulement ta lettre. Sœurette a fait une bonne nuit, après l’avoir nettoyée, je viens de la remettre dans son lit. Elle regarde ce qui se passe avant de s’endormir.
Nous voici encore à court de charbon. Maman devait aller chez Bernot ce matin, mais il pleut et comme elle était déjà un peu enrhumée, elle n’y a pas été. Elle ira demain. Ce matin il ne fait pas bien chaud, il y a tout de même 15° dans les maisons (dans les pièces sans feu), mais ce temps humide vous pénètre, si seulement j’étais tout à fait valide que je puisse aller voir les charbonniers. Il me semble que je trouverai bien moyen d’en trouver. Je t’assure qu’il y a des jours où l’on voudrait bien ne rien demander à personne et tout faire soi-même ! Il faut bien se résigner ! Il y a déjà un grand pas, c’est que je n’entends plus crier sur Yves ; c’est moi qui m’occupe de lui et il y a peut-être malice de sa part, il ne dit plus rien pour se laisser habiller, alors qu’avec maman il bougeait toujours, peut-être n’avons-nous pas la même façon. C’est égal je ne devais pas avoir le caractère difficile étant enfant, ni être trop bougeante ! Sans ça qu’est-ce que j’aurais entendu ! Tu me diras que je me suis rattrapée après !
On entend encore des coups de canon, ce sont sans doute des essais.
Je te quitte mon chéri en t’embrassant bien tendrement de tout cœur, meilleures caresses des deux petits.
Tout à toi.
Emilie


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Lettre du 28 mars 1917 au matin d’Emilie Sibaud

Vincennes, le 28 mars 1917
Mercredi matin

 

Mon chéri,
Ce matin le soleil brille, cela va-t-il durer ? Pourrais-je bientôt sortir la petite Marcelle.
J’ai reçu ta longue lettre hier au courrier de 3h ½, que ce vent est ennuyeux et pénible, en effet quel sale pays !
Hier au soir Madame Sibaud est venue. Elle a trouvé sœurette encore grossie. Ta mère nous a dit qu’elle avait reçu une lettre de toi, mais je crois qu’elle s’illusionne sur ton congé de Pâques en croyant que tu vas avoir 10 jours. Je ne crois pas que ce soit cela que tu as voulu dire.
Nous avons encore avancé, mais la révolution russe m’inquiète. Je te demandais si nous avions encore besoin de cela, ce serait tout de même un peu violent qu’ils nous lâchent alors qu’en somme c’est un peu pour eux que nous avons marchés ; enfin espérons en l’avenir !
Je vois que vous n’avez pas dû mettre à exécution votre projet de promenade dimanche, c’est dommage cela vous aurait un peu distrait de vos dures occupations.
Je vois qu’Oncle Emile continue à correspondre souvent avec toi. Tant mieux. J’ai écrit à marie pour la remercier ainsi qu’à Tante Marie.
Sœurette pousse bien et devient de plus en plus un beau bébé, toujours blanche et rose.
La température a l’air de vouloir être plus clémente ces jours-ci, espérons que cela va durer.
Ce que tu m’écris pour ton voisin de lit m’a peinée sans que je le connaisse, car on se rend compte par soi-même ce que l’on souffrirait à la place, être si loin !
Pour le capitaine décidemment il est incompréhensible ! Mais ce qu’il a dit pour les notes, prouve que tu ne t’en tires pas mal du tout, car je suppose que tu dois être de ceux dont il parle.
Pour cette pauvre Madame Codechèvre, je ne sais trop que lui écrire. Je suis aussi d’avis que son fils perdra beaucoup. D’abord je crois qu’il aimait bien sa mère, qui au fond a été très bonne pour eux, et puis c’est un peu à sa présence qu’il doit de maintenir le peu de santé qu’il a !
Pour les Oudard, c’est charmant toujours pas un mot ! Du reste maintenant je ne compte plus les revoir, seulement c’est égal je me demande ce que j’ai pu leur faire ? Enfin, c’est une si petite chose à comparer aux événements actuels.
Si tu viens à Pâques, quelle joie pour moi, si seulement c’était le vrai retour !
Je te quitte pour ce matin mon chéri en t’embrassant mille et mille fois, en attendant de pouvoir le faire réellement.
Tout à toi.
Emilie

 

[Ligne d’Yves]
Mon cher papa,
Je monte tout seul dans ma grande chaise ! Je suis grand maintenant, tu vas voir quand tu viendras à Pâques. Sœurette fait dodo dans la chambre à Toto parce que là il y a du soleil.
Au revoir mon papa chéri, je t’embrasse bien fort pour sœurette et moi.
Ton petit poulet.
Yves


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Lettre du 28 mars 1917 de Marcel Sibaud

Valréas, le 28 mars 1917

 

Ma petite chérie,
J’en suis bien fâché, mais ce soir il faut que je te gronde fort, mais là très fort. Ce soir je vois l’élève qui était allé aux lettres revenir avec un gros paquet ; je lui dis « eh bien vous êtes chargé ». Or c’était pour moi. Mais quand je l’ai ouvert, ça a été bien pire. J’ai beau être gourmand car je le deviens ici, jamais d’ici l’autre vendredi date à laquelle j’espère bien partir, je n’arriverai à consommer tant de bonnes choses. Il est vrai que cela me servira de base pour mes repas en voyage. Ainsi même éloignée, ta tendre sollicitude aura contribué à garnir ma musette de sous-officier. Maintenant je ne vis plus que pour attendre Pâques et c’est pourquoi le nouveau rhume que je craignais hier m’embêtait particulièrement. Mais je crois qu’il me sera épargné ! Ce gonflement dans le nez, ce mouchage constant est le résultat du vent, nous sommes tous pareils. Le plus triste c’est que le soleil brille radieux, que la campagne étincelle de lumière et dès qu’on est à l’abri derrière une meule par exemple on sent bien que le soleil est chaud. C’est le vent qui gâte tout. Aujourd’hui encore nous avons été absolument gelés ; les mains n’ont même pas la force de boutonner et demain matin nous partons à 6h ½ faire de la topographie. C’st insupportable lorsque ce devrait être un plaisir.
Puisque je parlais voyage, voici une combinaison à laquelle j’ai pensé et que je tâcherai de faire aboutir. Elle serait économique et satisfaisante. A Pâques je n’aurai évidemment pas trop de temps à passer à la maison pour faire un crochet par Clermont. Mais la fin du cours, fin qui sera vite venue après Pâques (45 jours demain matin), on part en permission de Valréas même et non du dépôt. Je demanderai donc un ordre de route pour Paris par Clermont. Je passerai à Clermont une journée et arriverai à Paris sans grand retard.
Au point de vue instruction, cela ne va pas trop mal. D’après ce que le capitaine vient de dire, je vois que mon dernier devoir n’était pas mal. Ce qu’il y a de curieux, c’est que jamais on ne nous les rend, jamais on ne nous donne la note, jamais on ne nous dit si nous avons bien ou mal fait. Il est vrai que les officiers ne sont pas d’accord entre eux sur ce qu’il faut faire !
Mais que j’en revienne à des choses plus intéressantes. J’ai reçu en même temps tes 2 lettres du 23 et du 24.
Je suis content de savoir que tu as reçu un colis de Clermont. Je vais mettre un mot de remerciement. De ce que les Gallo sont venus, j’espère que René va mieux. Je vais aussi les remercier de leurs cadeaux. La lettre de ton oncle me paraît, ce dont je ne doutais pas, avoir été très habilement tournée. Je pensais bien aussi que la réponse qui lui serait faite serait convenable.
Pour le poids de sœurette, tu m’avais dit 4k 350 au lieu de 4.300. Même ainsi réduit ce poids me paraît merveilleux. En fait d’enfant, on vient d’inviter les pères de plus de 2 enfants à passer au bureau du trésorier. J’avais cru que c’était à partir de 2 enfants, mais ce n’est pas le cas.
Je suis particulièrement content de savoir que ton oncle est satisfait de notre offensive. Ce qui m’ennuie c’est la Russie. J’ai bien peur que ma 1ère impression, franchement mauvaise, sur laquelle je m’étais fait une joie de revenir, n’ait été la bonne ; c’est beaucoup moins un mouvement national qu’un mouvement contre la guerre russe. La jeune Russie ne va pas nous causer les mécomptes de la jeune Turquie, car n’oublions pas que c’est nous qui loyalement sommes venus nous ranger aux côtés de la Russie.
Je n’ai pas besoin de te dire que je serai le plus heureux des hommes si à Noël nous pouvions faire aux petits un arbre de paix. Mais ce serait bien juste pour pouvoir être rentré, quoique je compte bien sur la fin des opérations pour l’automne.
Je n’ai pas trouvé le brouillon de lettre à Clermont mais je ne doute pas qu’elle était très bien.
Quand à l’affectation aux Sénégalais, il n’y a pas que celle-là. Ici le raisonnement suivant dicte beaucoup de choix ; les régiments de choc, comme le régiment colonial du Maroc donnent un grand coup puis restent 3 mois à se refaire. Beaucoup préfèrent cela à un maintien continuel en lignes. C’est un moment à passer puis après on a la paix. C’est une théorie. Mais en dehors de cela, il y a des tas d’affectations plus agréables.
Je t’embrasse mille et mille fois ainsi que les petits.
Ton Marcel


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Lettre du 27 mars 1917 d’Emilie Sibaud

 Vincennes, le 27 mars 1917
Mardi matin

 

Mon chéri,
J’ai reçu hier à 3h comme je m’y attendais une lettre de toi. Je regrette bien ce vilain temps froid dont vous avez à souffrir. Ici aujourd’hui il fait soleil, hier il a plus toute la journée.
Je suis heureuse de voir que tes notes sont bonnes et que l’on te juge à ta valeur tout de même. Tout en étant fière de toi, de ce que tu m’écris, crois bien que je ne t’ai jamais considéré comme embusqué et que l’affection que j’ai pour toi ne peut pas grandir ; je t’aimais et t’admirais autant hier qu’aujourd’hui que demain.
Ce matin le communiqué n’était pas mauvais et le commentaire de T. semblait favorable, faut-il espérer bientôt la fin ?
Je vois que ton capitaine était plus aimable ces jours-ci que les précédents, c’est égal, drôle de caractère !
As-tu idée de l’heure à laquelle tu arriveras à Paris ? Je serai si heureuse de pouvoir aller au devant de toi ! Que tu vas trouver notre petite jolie, ce n’est pas parce que je suis sa maman, tout le monde la trouve belle ; vraiment elle surprend pour un si petit bébé. Elle a la peau rosée bien tendre, de grands yeux et surtout elle se tient très droite relevant la tête, regardant à droite à gauche. On lui donnerait bien 6 semaines à deux mois, elle bouge bien ses petits bras, attrape votre doigt, elle a un double menton qui lui donne un petit air satisfait. Je vais commencer à la baigner, son petit ventre a l’air très bien, je coirs avoir baigné Yves plus tôt ? Je pense aussi lui faire faire sa première sortie ces jours-ci, peut-être demain, peut-être jeudi, puisque Mme Sibaud ne viendra pas. T’ai-je dit que je l’avais vu vendredi ? Elle va acheter des souliers à Yves pour Pâques, mais je crois que je te l’ai déjà dit.
Voici sœurette qui s’impatiente, elle fait entendre de petits cris espacés. Yves trouve qu’on dirait qu’elle a une petite musique dans le ventre ! C’est que maintenant quand elle crie, on l’entend ; Yves n’était rien comme force de voix à côté d’elle ! Heureusement qu’elle est plus patiente et qu’elle reste souvent dans son lit à regarder ce qui se passe. Elle tourne toujours la tête du côté où je suis quand elle pleure, elle fait une petite grimace qui lui donne un petit air malheureux, sa bouche s’abaisse, on dirait un bébé plus âgé et qui a vraiment de la peine. Elle ne pleure pas quand on fait sa toilette, il me semble qu’Yves criait à ce moment-là, mais je te parle beaucoup pour ne rien dire !
Je vais être obligée de lui faire un manteau pour la sortir, celui de Marie est joli mais pour une enfant de 2 ans, il va à Yves ! Elle a l’air perdu dedans. Je lui fais un petit manteau à capuchon très simple pour ta venue ! Ne faut-il pas qu’elle soit belle cette demoiselle pour faire connaissance avec son papa ! T’ai-je dit que j’avais fait un joli pardessus (avec capuchon) à Yves dans les pans de ta vieille redingote grise, les manches étaient trouées au coude, tu ne l’aurais certainement pas remise et si tu voyais ce jeune homme là-dedans !
Voilà encore la crise du charbon. Les charbonniers ne veulent rien livrer et la marie est fermée ! Je vais être obligée pour avoir une provision pour l’hiver prochain d’aller quémander un peu partout. Ah ! Si seulement la guerre était finie ! Que ces petites choses auraient peu d’importance !
Enfin il faut espérer car je vois beaucoup de personnes peu optimistes avant et qui commencent à espérer. Moi c’est le contraire, tu sais à force d’attendre.
Allons, je te quitte mon cher laissant la place à Toto. Au revoir, reçois mes plus tendres baisers.
Tout à toi.
Emilie

 

[Ligne d’Yves]
Mon cher papa,
Je viens d’embrasser pour nous deux sœurette. Je suis bien content à l’idée de te voir à Pâques. Je suis bien sage, tu verras tu me feras l’échelle. Je t’embrasse.
Ton petit Yves qui t’aime.

 


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