Lettre du 28 mars 1917 de Marcel Sibaud

Valréas, le 28 mars 1917

 

Ma petite chérie,
J’en suis bien fâché, mais ce soir il faut que je te gronde fort, mais là très fort. Ce soir je vois l’élève qui était allé aux lettres revenir avec un gros paquet ; je lui dis « eh bien vous êtes chargé ». Or c’était pour moi. Mais quand je l’ai ouvert, ça a été bien pire. J’ai beau être gourmand car je le deviens ici, jamais d’ici l’autre vendredi date à laquelle j’espère bien partir, je n’arriverai à consommer tant de bonnes choses. Il est vrai que cela me servira de base pour mes repas en voyage. Ainsi même éloignée, ta tendre sollicitude aura contribué à garnir ma musette de sous-officier. Maintenant je ne vis plus que pour attendre Pâques et c’est pourquoi le nouveau rhume que je craignais hier m’embêtait particulièrement. Mais je crois qu’il me sera épargné ! Ce gonflement dans le nez, ce mouchage constant est le résultat du vent, nous sommes tous pareils. Le plus triste c’est que le soleil brille radieux, que la campagne étincelle de lumière et dès qu’on est à l’abri derrière une meule par exemple on sent bien que le soleil est chaud. C’est le vent qui gâte tout. Aujourd’hui encore nous avons été absolument gelés ; les mains n’ont même pas la force de boutonner et demain matin nous partons à 6h ½ faire de la topographie. C’st insupportable lorsque ce devrait être un plaisir.
Puisque je parlais voyage, voici une combinaison à laquelle j’ai pensé et que je tâcherai de faire aboutir. Elle serait économique et satisfaisante. A Pâques je n’aurai évidemment pas trop de temps à passer à la maison pour faire un crochet par Clermont. Mais la fin du cours, fin qui sera vite venue après Pâques (45 jours demain matin), on part en permission de Valréas même et non du dépôt. Je demanderai donc un ordre de route pour Paris par Clermont. Je passerai à Clermont une journée et arriverai à Paris sans grand retard.
Au point de vue instruction, cela ne va pas trop mal. D’après ce que le capitaine vient de dire, je vois que mon dernier devoir n’était pas mal. Ce qu’il y a de curieux, c’est que jamais on ne nous les rend, jamais on ne nous donne la note, jamais on ne nous dit si nous avons bien ou mal fait. Il est vrai que les officiers ne sont pas d’accord entre eux sur ce qu’il faut faire !
Mais que j’en revienne à des choses plus intéressantes. J’ai reçu en même temps tes 2 lettres du 23 et du 24.
Je suis content de savoir que tu as reçu un colis de Clermont. Je vais mettre un mot de remerciement. De ce que les Gallo sont venus, j’espère que René va mieux. Je vais aussi les remercier de leurs cadeaux. La lettre de ton oncle me paraît, ce dont je ne doutais pas, avoir été très habilement tournée. Je pensais bien aussi que la réponse qui lui serait faite serait convenable.
Pour le poids de sœurette, tu m’avais dit 4k 350 au lieu de 4.300. Même ainsi réduit ce poids me paraît merveilleux. En fait d’enfant, on vient d’inviter les pères de plus de 2 enfants à passer au bureau du trésorier. J’avais cru que c’était à partir de 2 enfants, mais ce n’est pas le cas.
Je suis particulièrement content de savoir que ton oncle est satisfait de notre offensive. Ce qui m’ennuie c’est la Russie. J’ai bien peur que ma 1ère impression, franchement mauvaise, sur laquelle je m’étais fait une joie de revenir, n’ait été la bonne ; c’est beaucoup moins un mouvement national qu’un mouvement contre la guerre russe. La jeune Russie ne va pas nous causer les mécomptes de la jeune Turquie, car n’oublions pas que c’est nous qui loyalement sommes venus nous ranger aux côtés de la Russie.
Je n’ai pas besoin de te dire que je serai le plus heureux des hommes si à Noël nous pouvions faire aux petits un arbre de paix. Mais ce serait bien juste pour pouvoir être rentré, quoique je compte bien sur la fin des opérations pour l’automne.
Je n’ai pas trouvé le brouillon de lettre à Clermont mais je ne doute pas qu’elle était très bien.
Quand à l’affectation aux Sénégalais, il n’y a pas que celle-là. Ici le raisonnement suivant dicte beaucoup de choix ; les régiments de choc, comme le régiment colonial du Maroc donnent un grand coup puis restent 3 mois à se refaire. Beaucoup préfèrent cela à un maintien continuel en lignes. C’est un moment à passer puis après on a la paix. C’est une théorie. Mais en dehors de cela, il y a des tas d’affectations plus agréables.
Je t’embrasse mille et mille fois ainsi que les petits.
Ton Marcel


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