Lettre du 30 avril 1917 de Marcel Sibaud

Valréas, le 30 avril 1917

 

Ma petite chérie,
C’est avec une impatience particulière que je prends la plume pour t’écrire ce soir. Je viens en effet de recevoir la réponse d’oncle Emile à ma lettre relative à la rougeole de Roger. Je ne crois pouvoir mieux faire que de te la joindre.
Mais au cas où tu aurais dû mal pour la lire, je vais te la résumer en tenant compte de ce que je connais de la maison. Donc comme je te le disais, sortir les enfants le plus possible en passant le plus rapidement possible dans les endroits qui peuvent contenir du mauvais air : escalier, couloir, etc. faire aérer l’escalier, hygiène des enfants, bains, etc. Mais surtout air sec : donc éviter que la vapeur de la cuisine quand vous faîtes bouillir de l’eau ne pénètre dans l’appartement, ne pas tenir les fenêtres trop ouvertes par la pluie ou par temps humide, ce qui bien entendu n’empêcheront pas de sortir les petits : c’est seulement le lieu où la contagion est possible qui a besoin d’être sec. Aussi pour l’eucalyptus comme je te le disais, le faire brûler sur une pelle rougie par exemple, mais ne pas mettre une casserole d’eau bouillante avec de l’eucalyptus dans les pièces. Fais du feu là où il faudrait s’il fait humide, tant pis pour le charbon.
Outre la sècheresse, il faut la lumière du soleil, ce qui n’implique pas nécessairement l’ouverture des fenêtres si le temps est humide. Chez nous il n’y a guère de rideaux qui s’opposent à l’entrée du jour. Cependant ferme le moins possible les grands rideaux de la fenêtre de notre chambre. Au point de vue de la grande lumière et de l’aération sèche, c’est encore la chambre de ta mère qui remplit le mieux les conditions.
Venez-y donc le plus possible tant que la rougeole de Roger ne sera pas complètement terminée. Mais surtout, comme le dit oncle Emile, ne te fais pas de biles à l’idée d’une rougeole possible.
Que je passe maintenant à ta lettre.
J’approuverai pour Suzanne où je joindrai dans le colis que je mettrai sans doute dimanche une boîte de berlingots comme celle que je t’ai envoyée.
Je ne crois pas t’avoir dit que j’étais tombé ; non c’est en descendant mon escalier en colimaçon que je me suis cogné le front au chambranle de la porte en bas. Ainsi que je te l’ai dit, il n’y paraît déjà presque plus. Mon pied aussi va beaucoup mieux ; le lavage et le repos d’hier lui a ont fait grand bien. Mais je ne sais si je pourrai continuer les chaussettes en coton ; est-ce parce qu’elles sont encore neuves ou parce qu’elles ont comme toutes les chaussettes qui ne sont pas faites à la main, une couture derrière, toujours est-il qu’elles me liment le pied et précisément nous avons bien fait au moins 18 kms dans la journée. C’était fort désagréable. Je vais voir ce que cela fera demain et s’il le faut je prendrai de la laine plus légère que mes chaussettes de laine Marie. Sans doute à ce propos ne tarderai-je pas à recevoir un petit mandat car les fonds baissent ; j’ai cassé mon dernier billet. Je vais aussi avoir quelques dépenses : 2 ou 3 cours à acheter, un bouquet qu’on offre aux instructeurs, la revue de fin de cours et puis le retour, et la pointe sur Clermont. Il semble que nous partirions comme c’était fixé d’abord, le 12. D’aujourd’hui en 15, je serai donc auprès de vous. Quel soupir de soulagement je pousserai en montant dans le train.
Pour Auteuil voici à peu près ce que tu pourrais dire ; je l’ai dit dans une lettre mais d’une façon forcément plus sage. Voir la personne qui s’est déjà occupé de moi pour Valréas. Lui demander ce qu’il pourrait y avoir d’intéressant comme affectation en évitant Salonique. Si l’on ne voit rien de mieux, insister pour mon affectation au 23e colonial, parce que sur le front français et dépôt à Paris. D’opération et vaccination il ne doit être question qu’après affectation. Quand à l’instruction de la classe 1918 et des nouveaux r[?], c’est seulement aussi, je crois, le régiment où j’irai qui pourrait  m’y affecter.
Il paraît que le lieutenant Cl. du dépôt du 23e est très gentil. Si je ne me trompe, c’est à ce régiment que doit être mon ancien garçon de bureau Billard qui comme chef clairon est avec le colonel.
D’après ce qui m’a été dit pour les coloniaux, c’est le ministère qui fait les affectations à sa guise, et croit-on un peu au hasard. On parle de nombreuses affectations aux Sénégalais. Mais après les graves pertes devant Craonne(1), il ne manquera pas de places de sous-lieutenant à pourvoir au 23e.
Je suis vraiment charmé des détails que tu me donnes sur Marcelle. Comme je vais la trouver changer, sans doute. Et tu ne te trompe pas quand tu penses que ces détails m’intéresseront.
Je te quitte, ma petite chérie, en t’embrassant mille et mille fois.
Ton Marcel

Bons baisers aux petits
Amitiés aux mamans

 

1 : Marcel fait ici référence à la bataille du Chemin des Dames ou seconde bataille de l’Aisne ou offensive Nivelle qui commence le 16 avril 1917 à 6 heures du matin pendant la Première Guerre mondiale par la tentative française de rupture du front allemand entre Soissons et Reims vers Laon, sous les ordres du général Nivelle : « l’heure est venue, confiance, courage et Vive la France ! ».
Notamment sur le plateau du Chemin des Dames entre Cerny-en-Laonnois et Craonne, les forces françaises ont été repoussées. Les pertes en revanche sont considérables. Selon J.F. Jagielski11, les pertes s’élèvent à 134 000 hommes dont 30 000 tués pour la semaine du 16 au 25 avril.

Commentaires fermés sur Lettre du 30 avril 1917 de Marcel Sibaud

Filed under Lettres de Marcel Sibaud

Comments are closed.