Lettre du 30 avril 1917 d’Emilie Sibaud au matin

Vincennes, le 30 avril 1917
Lundi matin

 

Mon chéri,
Je viens de recevoir ce matin deux lettres de toi, parties toutes deux le 27 de Valréas, mais l’une écrite par toi le 26 au soir et l’autre le 27.
Je commence à répondre d’abord à ta 1ère lettre, vous allez probablement rester jusqu’au 19, pour la titularisation. Je ne comprends pas bien ? Je ne suis pas comme toi, moi j’aurais bien voulu que tu restes comme redoublant.
Ce que tu me dis pour le 23e ne m’enchante guère, mais d’un autre côté, il est à penser qu’il y aura plus de facilités s’il y a eu des trous dans les effectifs. Enfin j’ai écris dans ce sens à Suzanne, il serait, je crois, toujours plus facile à agir ensuite dans un sens ou dans un autre, toi étant à Paris.
Roger va beaucoup mieux, il est presque guéri, quand à nous nous n’avons eu aucun rapprochement bien entendu.
Je sais bien mon chéri que ton optimiste ne faiblit pas, je te connais assez et ce n’est pas dans ce sens que je voulais parler ; et puis comme tu me dis dans ta seconde lettre, à qui dirais-tu toutes tes pensées, et ton j’aime mieux cela, ne fait pas attention quand je t’écris ainsi. Et dis-moi bien toujours tes impressions bonnes ou mauvaises ! Ainsi je crois être plus près de toi, je suis fière mon aimé lorsque tu m’écris de jolies lettres, pleine d’enthousiasme patriotique, mais moi tu sais pourvu que tu me restes, c’est tout ce que je demande, que m’importe croix de guerre ou autres, toi seul ! Puisse ce brin de gui cueilli par Yves nous être un jour aussi précieux que le gui de jadis, qui a été pour moi le commencement du bonheur. Que ce serait bon, dans quelques années, de retrouver ce brin de gui, bien séché, bien jauni, réuni aux fleurs roses que tu m’as envoyé !
Le temps continue d’être doux, c’est le printemps ! Comme dis Yves. Hier il faisait même chaud dans le bois, et notre toute petite a pu respirer l’air toute l’après-midi. Elle semblait toute contente, elle commence à gazouiller, elle riait aux arbres, aux feuilles, Yves lui courrait dans l’herbe,… et moi je songeais qu’au printemps dernier là-bas à Clermont, assise dans le jardin, j’attendais avec impatience la venue du facteur. Je me souviens que souvent à cette attente, je songeais tristement que peut-être un jour, l’attente serait encore plus anxieuse que celle-là. C’est pourquoi, chaque jour passé loin de toi me semblait un jour perdu ! J’avais raison puisqu’aujourd’hui je suis forcément séparé de toi… Quand donc finira-t-elle cette lutte ! De plus en plus on voit des visages tourmentés, une lassitude pèse sur tous. Qu’elle vienne cette pause tant attendue, mais qu’elle ne vienne pas trop tard ! Quand je marche le long des allées du bois, que je vois Yves courir, sauter et notre mignonne, aussi rose que le rose qui l’entoure, reposée et si jolie dans sa voiture, je cherche instinctivement ta chère présence, en vain hélas ! Et ce beau soleil me fait mal ! Nous qui aimions tant la campagne, où sont-elles nos excursions de jadis ? Ils sont heureux ceux qui ne pensent pas !
Nous voici bientôt le 1er mai, cette date évoque du ciel bleu, de l’air pur, de la joie, ne trouves-tu pas ? On voudrait être très jeunes et respirer le printemps. Tu vas trouver Yves encore très changé, toute sa personne respire la joie de vivre, il est heureux ! Il dépense sa force à courir, à gambader, tout pour lui est beau, son enthousiasme déborde et le rire quitte rarement son visage, il montre ses dents blanches !
Mais je te quitte pour ce matin, nous allons aller tous les deux porter ta lettre à la poste. Il est tout fou ! Au revoir mon chéri, je t’embrasse mille et mille fois.

Tout à toi
Emilie

[Lettre d’Yves]
Mon cher papasonnedat,
Maman m’a lu ta lettre. Je suis bien content que mon petit brin de gui t’ait fait plaisir car je t’aime mon papa chéri, et j’essaye d’être très sage pour te faire plaisir. Ça m’ennuie de voir maman toute triste parce que tu n’es pas là, j’ai beau lui dire que c’est beau d’être sonnedat, que tu auras un grand sabre, que tu as un bien beau barda. Sœurette, elle rit quand je lui dis «  ton papa qui est sonnedat, il va venir nous voir ».
Au revoir mon papa, nous t’embrassons tous les deux bien fort.
Ton Yves


Commentaires fermés sur Lettre du 30 avril 1917 d’Emilie Sibaud au matin

Filed under Lettres d'Emilie Sibaud, Lettres des enfants

Comments are closed.