Lettre du 29 avril 1917 d’Emilie Sibaud

Vincennes, le 29 avril 1917
Dimanche matin

 

Mon chéri,
Ce bruit qui tend à dire que nous resterez à Valréas jusqu’au 22, ne m’aurait pas contrarié si cela n’avait eu pour conséquence de me priver de toi encore plus longtemps. En tous les cas, j’écris à Suzanne aujourd’hui pour le 23e.
Pour la question de l’équipement, tu pourrais te faire envoyer quelques catalogues pour ne pas être pris au dépourvu à la dernière minute. L’idée des bottes me plaît beaucoup. Les coloniaux sont-ils nombreux à Valréas ? Je veux parler de l’infanterie coloniale bien entendu.
Voici le 14e jour que Roger n’a pas vu Yves et sœurette, je n’ose encore trop espérer qu’ils échapperont à la contagion, pourtant je crois que la maladie met 14 jours à monter.
Il fait beau, un soleil printanier jette des reflets partout. Ce matin je me suis dépêchée de préparer les petits pour les sortir au soleil, je vais aller d’ailleurs porter ta lettre avec Yves. J’y joins le mandat habituel, 50 fr.
Ce beau soleil sans toi n’a guère d’attrait pour moi ; celle claire journée de printemps qui aurait dû être autrefois une bonne journée d’excursion pour nous deux… et même pour nous trois… aujourd’hui, je ne puis l’envisager que comme un bien pour les chers petits. Elle leur permettra de prendre l’air et de se fortifier, mais pour moi personnellement, je préfèrerais rester chez nous, seule avec ton souvenir et l’espoir de nous retrouver pour de vrai, encore côte à côte de longs jours heureux.
Je t’écris auprès du berceau de sœurette, son petit visage rose ressort gentiment dans le blanc, et ses yeux de pervenche suivent avec intérêt la plume qui court sur le papier. Comprend-t-elle déjà la chère mignonne, que c’est à toi que j’écris ? Dieu fasse qu’elle n’ait jamais à souffrir ce que j’endure en ce moment, que la vie soit belle pour elle, toujours qu’elle ne soit pas séparée de celui qu’elle aimera, comme je le suis aujourd’hui.
Je vais voir pour le sabre et la cantine.
Je vais te mettre le brouillon de ce que j’écris à Suzanne.
Je pense alors à cette après-midi jusqu’à Saint-Mandé, avec la voiture, ce sera la première sortie de sœurette en voiture, elle fait très bien, avec la couverture broderie et carrée dentelle que j’ai faite, toute doublée de rose. Tu pourras peut-être avoir tout de même ta permission de détente ?
Allons, je te quitte pour ce matin, je n’aurai pas le plaisir de te lire aujourd’hui, la journée va me paraître encore plus longue, sans ce moment du courrier tant attendu ! Au revoir mon chéri, je t’embrasse mille et mille fois, Yves et sœurette t’envoient leurs bien tendres caresses et leur plus doux baisers.
Tout à toi
Emilie

Amitiés des mamans et leurs remerciements pour les tiennes.

[Brouillon de la lettre à Suzanne]
Ma chère Suzanne,
Voici le temps revenu tout à fait au beau, peut-être aurons-nous bientôt le plaisir de vous voir. Je préfèrerais que tu m’écrives un petit mot, nous sortons l’après-midi et je serais désolée de manquer votre visite, à moins que vous nous fassiez tout à fait plaisir en venant déjeuner ?
Yves et Marcelle vont bien, mais notre petit voisin a eu la rougeole et j’ai bien craint pour eux.
J’espère que tes insomnies sont à peu près passées, que ce beau temps va te permettre de bonnes promenades à l’air ; ce serait le meilleur remède.
Marcel est toujours surmené, le bruit court paraît-il que beaucoup serait prolongé jusqu’au 22 mai de façon à ce que les élèves reçoivent leur nomination à Valréas, ceux du moins qui l’obtiendraient, ils n’auraient pas ainsi à retourner à leur ancien dépôt.
Marcel va demander le 23e qui est à Paris, mais je me demande si à la direction des troupes coloniales, on voudra bien lui donner cette affectation. Mon oncle pourrait peut-être le savoir. Avez-vous décidé quelques choses pour votre villégiature ?
Je te quitte ma chère Suzanne. Maman et Yves se joignent à moi pour vous embrasser très affectueusement.


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