Vincennes, le 23 février 1917
Vendredi matin
Mon chéri,
J’avais eu ce matin une désillusion en ne trouvant au courrier qu’une lettre d’Armelle (comme de bien entendu elle a encore eu une bronchite), son mari est venu en permission. Abel va bien. Donc rien de toi, mais c’était une erreur de la femme-facteur, car paraît-il nous n’avons plus notre facteur habituel. Elle avait remis ta lettre chez les Lombaud, on est venu la rapporter et j’ai eu le plaisir de lire de tes nouvelles. Je vois que tu es très très pris comme tu te couches tard, comme tu te lèves tôt !
Hier maman a vu ta mère, moi je n’y suis pas allée. Je ne me trouvais pas aussi svelte. J’ai préféré travailler à la maison.
Demain samedi, il faut aller donner les renseignements pour les cartes de sucres, et je pense aussi t’envoyer la feuille pour l’impôt sur le revenu que Maman va prendre à la mairie.
Toujours un temps gris et très sombre, on voit à peine dans l’appartement, pourtant il est assez clair ordinairement.
Merci mon chéri de tes gentilles paroles, elles m’ont réconfortées, mais crois bien que je n’ai jamais douté que souvent ta pensée soit vers nous ; la mienne t’accompagne toujours à tout instant de mes longues journées je songe à toi !
Bébé Yves devient bien mignon, il s’endort tout seul avec ton portrait en soldat sur son cœur, de temps en temps il t’embrasse. Pauvre petit, il serait si content de t’avoir près de lui !
Je t’écris moins longuement que les autres jours, je tiens à ce que ma lettre parte et je me suis levée un peu plus tard que d’habitude. Je suis obligée de me presser.
Ne t’inquiète pas je ne me ferais pas de « bile » comme tu dis. Je songerai qu’il faut encore s’estimer heureux en comparaison de tant d’autres.
Pour l’argent je t’enverrai en mandat dans une lettre recommandée.
Allons au revoir mon aimé. Je t’embrasse bien tendrement.
Tout à toi.
Emilie
[Ligne d’Yves] Bons baisers à mon papa chéri.
Ton petit Yves