Lettre du 16 avril 1917 d’Emilie Sibaud

Vincennes, le 16 avril 1917
Lundi matin

 

Mon chéri,
Je viens de recevoir ce matin ta lettre du 12 avril, je vois que l’on parle déjà de permission ! Comme le temps passe ! bien long à certain point de vue et trop court pour d’autres.
Hier après-midi, pluie, aussi nous ne sommes pas sortis, les heures ont passé lentes et grises, triste dimanche !
Il n’est plus question du rhume de sœurette, ni de l’indisposition d’Yves heureusement.
Maman aussi va mieux mais elle est toujours très fatiguée et très énervée ; son caractère s’en ressent. Heureusement que je n’y porte guère attention, j’ai d’autres soucis en tête. Quand je reste silencieuse, ça ne va pas ; quand je parle, alors c’est pour discuter ; cela me fatigue, j’y renonce ! Il faudrait parler continuellement de provisions, de charbon, de pommes de terre, etc. J’ai la tête autre part, déjà en temps normal je parle assez peu de toutes ces petites choses, mais maintenant encore bien moins. Avec cela nous n’avons pas du tout la même façon de voir et de penser, en somme je suis très seule sans en avoir l’air. Heureusement que j’ai nos chers tout petits et les souvenirs des jours heureux passés près de toi, sans quoi j’aurai de véritables moments de désespérance. Maman a bien changé ces dernières années ! Je sais bien que la vie n’a pas été très bonne pour elle, mais chacun a ses peines et ce n’est pas parce que jusqu’ici j’avais été heureuse, que j’en ressens moins la douloureuse de la situation présente au contraire. Et bien je t’assure que je ne me plains jamais et qu’à l’encontre de maman, la peine morale m’empêche de penser aux petits inconvénients, à la fatigue de la vie maternelle. Non, je me dis, s’il n’y avait que ça, comme on pourrait être heureux ; l’argent ne fait pas le bonheur, la vie sera un peu plus dure qu’autrefois forcément, mais cela n’est rien, que nous soyons tous réunis bientôt, que j’ai ta chère présence et je m’estimerais très heureuse.
Mais parlons du présent. N’as-tu pas d’autres tuyaux quant aux affectations. Et pour ta permission, mois aussi j’aimerais mieux que tu passes par Clermont. Je ne serai pas fâchée qu’Oncle Emile te donne une consultation et te voit un peu question santé.
Je vais emmener Yves porter ta lettre. Notre vie est toujours à peu près la même, le matin je baigne les enfants, petit-déjeuner, un tout petit peu de ménage, je m’habille, j’écris ta chère lettre, et nous allons la porter avec Yves, après le déjeuner promenade au soleil, retour à la maison, goûter, un court instant de couture, le dîner vient vite et coucher, cela semble un programme bien simple et peu chargé, et bien pourtant il ne faut pas perdre une minute pour l’accomplir et encore pas aussi complètement que je désirerais.
Je te quitte mon chéri en t’embrassant mille et mille fois.
Tout à toi.

Emilie

Bonnes caresses et gros baisers de petite mama et de grand Toto.


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