Lettre du 28 mars 1917 au soir d’Emilie Sibaud

Vincennes, le 28 mars 1917
Mercredi soir

 

Mon chéri,
Je t’écris avant d’aller dormir, Toto dort depuis 7h ½, sœurette sommeille pour le moment, mais elle vient de crier. Elle a trop tété à sa dernière tétée et ça doit être dur à passer. Elle tète très vite pour commencer et elle se fait mal. C’est du moins ce que je pense, quoique rien n’indique qu’elle souffre. Elle grossit à vue d’œil, seulement comme elle est assez sage d’ordinaire, je me dis lorsqu’elle pousse des cris : ce ne peut être que quelques coliques ! Mais la voici je crois bien calme, elle dort. Au fait son éternuement n’a pas été suivi d’autres, elle n’a pas l’air d’être sujette au rhume elle non plus.
Dieu t’entende si l’hiver rigoureux que nous venons de traverser était le dernier de la guerre !
J’ai vu aujourd’hui Gabrielle M., son mari part le 10, aussi elle est bien inquiète.
Yves est allé promener avec maman. Demain s’il fait beau, je peux aller avec lui, un peu au soleil, voir la température qu’il fait, pour pouvoir sortir notre mignonne ensuite. L’air me fera certainement du bien. Je me sens mieux, je reste debout toute la journée et j’ai repris mes occupations ordinaires, en plus celles de faire la toilette et donner les repas à sœurette. Elle est si gentille allongée sur mes genoux, tendant ses petits pieds vers le feu, je lui mets déjà depuis 8 jours des bas et des chaussons. Elle aime beaucoup bouger les jambes et n’aime pas être maintenues en quoi que ce soit. Elle a déjà de la force, elle repousse ses draps avec ses petites mains quand je lui mets trop haut et elle se retourne dans son lit. Bien la voilà qui a ouvert les yeux, elle regarde, elle sait bien qu’elle doit bientôt téter, la petite maligne. Ça sera ça dernière pour aujourd’hui.
Je te quitte pour ce soir mon chéri, car il faut que je la change avant de me coucher et demain Yves s’éveille à 7h au plus tard.

Jeudi matin 10h
Je reprends seulement ta lettre. Sœurette a fait une bonne nuit, après l’avoir nettoyée, je viens de la remettre dans son lit. Elle regarde ce qui se passe avant de s’endormir.
Nous voici encore à court de charbon. Maman devait aller chez Bernot ce matin, mais il pleut et comme elle était déjà un peu enrhumée, elle n’y a pas été. Elle ira demain. Ce matin il ne fait pas bien chaud, il y a tout de même 15° dans les maisons (dans les pièces sans feu), mais ce temps humide vous pénètre, si seulement j’étais tout à fait valide que je puisse aller voir les charbonniers. Il me semble que je trouverai bien moyen d’en trouver. Je t’assure qu’il y a des jours où l’on voudrait bien ne rien demander à personne et tout faire soi-même ! Il faut bien se résigner ! Il y a déjà un grand pas, c’est que je n’entends plus crier sur Yves ; c’est moi qui m’occupe de lui et il y a peut-être malice de sa part, il ne dit plus rien pour se laisser habiller, alors qu’avec maman il bougeait toujours, peut-être n’avons-nous pas la même façon. C’est égal je ne devais pas avoir le caractère difficile étant enfant, ni être trop bougeante ! Sans ça qu’est-ce que j’aurais entendu ! Tu me diras que je me suis rattrapée après !
On entend encore des coups de canon, ce sont sans doute des essais.
Je te quitte mon chéri en t’embrassant bien tendrement de tout cœur, meilleures caresses des deux petits.
Tout à toi.
Emilie


Commentaires fermés sur Lettre du 28 mars 1917 au soir d’Emilie Sibaud

Filed under Lettres d'Emilie Sibaud

Comments are closed.