Lettre du 27 mars 1917 d’Emilie Sibaud

 Vincennes, le 27 mars 1917
Mardi matin

 

Mon chéri,
J’ai reçu hier à 3h comme je m’y attendais une lettre de toi. Je regrette bien ce vilain temps froid dont vous avez à souffrir. Ici aujourd’hui il fait soleil, hier il a plus toute la journée.
Je suis heureuse de voir que tes notes sont bonnes et que l’on te juge à ta valeur tout de même. Tout en étant fière de toi, de ce que tu m’écris, crois bien que je ne t’ai jamais considéré comme embusqué et que l’affection que j’ai pour toi ne peut pas grandir ; je t’aimais et t’admirais autant hier qu’aujourd’hui que demain.
Ce matin le communiqué n’était pas mauvais et le commentaire de T. semblait favorable, faut-il espérer bientôt la fin ?
Je vois que ton capitaine était plus aimable ces jours-ci que les précédents, c’est égal, drôle de caractère !
As-tu idée de l’heure à laquelle tu arriveras à Paris ? Je serai si heureuse de pouvoir aller au devant de toi ! Que tu vas trouver notre petite jolie, ce n’est pas parce que je suis sa maman, tout le monde la trouve belle ; vraiment elle surprend pour un si petit bébé. Elle a la peau rosée bien tendre, de grands yeux et surtout elle se tient très droite relevant la tête, regardant à droite à gauche. On lui donnerait bien 6 semaines à deux mois, elle bouge bien ses petits bras, attrape votre doigt, elle a un double menton qui lui donne un petit air satisfait. Je vais commencer à la baigner, son petit ventre a l’air très bien, je coirs avoir baigné Yves plus tôt ? Je pense aussi lui faire faire sa première sortie ces jours-ci, peut-être demain, peut-être jeudi, puisque Mme Sibaud ne viendra pas. T’ai-je dit que je l’avais vu vendredi ? Elle va acheter des souliers à Yves pour Pâques, mais je crois que je te l’ai déjà dit.
Voici sœurette qui s’impatiente, elle fait entendre de petits cris espacés. Yves trouve qu’on dirait qu’elle a une petite musique dans le ventre ! C’est que maintenant quand elle crie, on l’entend ; Yves n’était rien comme force de voix à côté d’elle ! Heureusement qu’elle est plus patiente et qu’elle reste souvent dans son lit à regarder ce qui se passe. Elle tourne toujours la tête du côté où je suis quand elle pleure, elle fait une petite grimace qui lui donne un petit air malheureux, sa bouche s’abaisse, on dirait un bébé plus âgé et qui a vraiment de la peine. Elle ne pleure pas quand on fait sa toilette, il me semble qu’Yves criait à ce moment-là, mais je te parle beaucoup pour ne rien dire !
Je vais être obligée de lui faire un manteau pour la sortir, celui de Marie est joli mais pour une enfant de 2 ans, il va à Yves ! Elle a l’air perdu dedans. Je lui fais un petit manteau à capuchon très simple pour ta venue ! Ne faut-il pas qu’elle soit belle cette demoiselle pour faire connaissance avec son papa ! T’ai-je dit que j’avais fait un joli pardessus (avec capuchon) à Yves dans les pans de ta vieille redingote grise, les manches étaient trouées au coude, tu ne l’aurais certainement pas remise et si tu voyais ce jeune homme là-dedans !
Voilà encore la crise du charbon. Les charbonniers ne veulent rien livrer et la marie est fermée ! Je vais être obligée pour avoir une provision pour l’hiver prochain d’aller quémander un peu partout. Ah ! Si seulement la guerre était finie ! Que ces petites choses auraient peu d’importance !
Enfin il faut espérer car je vois beaucoup de personnes peu optimistes avant et qui commencent à espérer. Moi c’est le contraire, tu sais à force d’attendre.
Allons, je te quitte mon cher laissant la place à Toto. Au revoir, reçois mes plus tendres baisers.
Tout à toi.
Emilie

 

[Ligne d’Yves]
Mon cher papa,
Je viens d’embrasser pour nous deux sœurette. Je suis bien content à l’idée de te voir à Pâques. Je suis bien sage, tu verras tu me feras l’échelle. Je t’embrasse.
Ton petit Yves qui t’aime.

 


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