Lettre du 16 mars 1917 de Marcel Sibaud

Valréas, le 16 mars 1917

 

Ma petite chérie,
Aujourd’hui j’au eu ta lettre dès ce matin. Tu as bien fait d’écrire aux Gallo et demander Suzanne pour marraine. Je suis sûr que cela leur fera plaisir. Selon la réponse que tu auras pour Suzanne et pour la santé de René, j’écrirai de mon côté.
Toutes bizarres qu’elles soient, les petites Bouchet sont bien gentilles d’avoir toujours des pensées pour nos tout petits.
Je voudrai bien vous voir tous trois blottis comme de petits oiseaux. Vois-tu la guerre vous ramène à l’état de nature. La mère cache les petits sous son aile, le père va à la recherche des gibiers, triste gibier que les boches, et assure la protection.
Notre serveur à table à la chance d’aller à Paris en permission de 20 jours. Il est vrai que le pauvre homme est comme Pierre Mollo. La femme est partie avec un de ses amis, lieutenant, laissant là une grande fillette.
Il a encore fait très froid aujourd’hui avec un mistral infernal qui a été la cause d’un incident qui aurait pu être bien ennuyeux. Au rebord d’un ravin, le vent m’a arraché mon binocle de sur le nez. J’ai eu l’impression qu’il dévalait en bas de la pente où coulait un filet d’eau, mais je ne voyais rien. Un élève ne trouva trace de rien ; et puis la Cie envoyée ; il dut s’en aller. Heureusement alors que d’habitude nous allons en bougeron avec lequel je n’ai pas mes lunettes, aujourd’hui à cause du froid nous avions la capote. Je mis un moment à y songer. Armé de mes lunettes, je finis par retrouver mon binocle à moitié enlisé dans le sable sous plusieurs centimètres d’eau. Sur le sable jaune et dans l’eau claire, on le voyait à peine. La journée n’a, à part le vent, pas été très dure. Après cette lettre, je finis un devoir. Demain 2 interrogations.
Demain soir dimanche.
J’ai appris aujourd’hui avec regret la démission de Lyautey (1), qui diable va-t-on mettre à la place ? René Besnard (2) ? J’en doute. Clémenceau ? Je ne pense pas ; Charles Humbert (3) peut-être. Noulens (4) ou un général car Briand (5) semble y tenir. Qui alors ? Foch (6) ? Maunoury, bien touché je crois. Enfin nous verrons. On parle d’élargissement du cabinet ; cela paraît laisser un visage d’un homme politique radical socialiste.
Les troubles de Petrograd m’ennuient aussi un peu. J’espère bien que la Russie pour laquelle nous avons marché ne nous lâchera pas. En tous cas, tout semble indiquer que la guerre tire à sa fin et, quelles que soient les petites difficultés des crises, a une fin satisfaisante.
J’ai reçu une lettre des Fouilhoux portant [?] pourtant affranchie. Je leur avais écrit la naissance de sœurette. Ils m’envoient leurs félicitations et me demandent quand ils pourront aller prendre de tes nouvelles. Je leur écrirai d’après ce que tu me diras.
J’ai touché mon 1er prêt de caporal. Plus que je ne pensais ! 6 fr. 30 !
Cela me payera largement mon voyage dimanche et le dîner que je serai peut-être obligé de prendre dehors.
Je te quitte ma petite chérie en t’embrassant mille et mille fois.
Ton Marcel

Ma résistance physique m’étonne moi-même. Mon rhume passé malgré les intempéries, je me trouve à en traverser d’autres pourtant assez fortes sans m’en apercevoir. C’est curieux comme le grand air vous change.

Amitiés aux mamans.

1 : Hubert Lyautey (1854-1934)
Pendant la Première Guerre mondiale, Lyautey fut ministre de la Guerre dans le gouvernement d’Aristide Briand, entre décembre 1916 et mars 1917. 

2 : René Besnard (1879-1952).
Sous-secrétaire d’État à l’administration militaire du 28 décembre 1916 au 12 septembre 1917 dans les gouvernements Aristide Briand et Alexandre Ribot.

3 : Charles Humbert (1866-1927), sénateur de la IIIe République de 19 janvier 1908 au 10 janvier 1920, il est vice-président de la commission sénatoriale des armées très actif pendant la Première Guerre mondiale.

4 : Joseph Noulens (1864-1944)

5 : Aristide Briand (1862-1932)
Chef du gouvernement et ministre des affaires étrangères pendant près de deux ans (1915-17), Briand joue un rôle important, notamment en organisant l’expédition de Salonique et en coordonnant l’action militaire et économique avec les Alliés.

6 : Ferdinand Foch (1851-1929)
Ferdinand Foch, maréchal de France, de Grande-Bretagne et de Pologne, est un officier général et académicien français.


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