Lettre du 2 mars 1917 de Marcel Sibaud

Valréas, le 2 mars 1917

 

Ma petite chérie,

Ce n’est pas sans anxiété et impatience que j’ai ouvert le télégramme que j’ai trouvé en rentrant de l’exercice ce soir. Ainsi tout s’est bien passé. N’as-tu pas trop souffert ? Je serai heureux d’avoir des détails mais surtout il ne faut pas te fatiguer pour me les donner.
Alors nous voilà avec une petite fille. Espérons qu’au point de vue santé elle ne nous donnera pas plus de tracas que bébé Yves ; quand au physique elle n’aura qu’à imiter sa maman. Quel accueil Yves lui a-t-il fait ? A quelle heure a eu lieu la naissance, était-ce de nuit ; la doctoresse a-t-elle pu venir à temps ; qu’avais-tu fait d’Yves ?
La déclaration est-elle faite ? Quels sont les prénoms, […] ? Et comment est la petite ; a-t-elle des cheveux ; a-t-elle les extrémités ridées comme Yves ; est-elle aussi forte ; A-t-elle bien crié ; a-ton pu la peser ? Et l’allaitement ne t’a-t-il pas fait mal au début ? Prends bien garde de ne pas avoir froid et ne te bouge pas imprudemment ; rien ne doit te presser de te relever ; repose toi donc autant qu’il est nécessaire.
Ce matin justement j’ai parlé un peu au capitaine. D’abord je le remerciais car par décision ministérielle je viens d’être nommé caporal à compter du 1er mars. Que de choses à cette date. Je disais aussi que j’attendais un télégramme d’un moment à l’autre. Le capitaine m’a laissé entendre qu’il me donnerait bien 48 heures. Mais à partir du 5 les trains express sont supprimés de sorte que le voyage devient quelque chose de monumental. Si j’étais parti jeudi j’aurais pu arriver à Bris dimanche à 6 heures du matin. Mais pour avoir un express j’aurais dû partir à 1h de l’après-midi. Or avec le retard certain à l’arrivée, j’aurais à peine le temps de venir jusqu’à Vincennes. C’est donc infaisable et j’en suis désolé. Comme je vais penser à vous demain encore plus que de coutume. Je ferai de la correspondance, ce sera un moyen de parler de vous.
On s’est rendu compte que le surmenage ici était un peu fort. A la 12e section, il y eu 14 cas de  coliques comme la nourriture est la même pour tous, je suis sûr que la cause est le froid sous le mistral. Chez nous il y a encore un nouveau malade, un redoublant. Escande est toujours couché et a bien changé. Bref le capitaine nous a dit que demain matin nous n’irions pas à la cote 403. Aujourd’hui la manœuvre a été assez douce : trajet en auto. Enfin, vu la fatigue générale, le colonel renonce à la manœuvre de bataillon de demain après-midi. Mais le quartier restera consigné. Que m’importe, on va pouvoir souffler un peu. Heureusement cela va mieux, hier j’avais pris mal à la gorge mais ce matin c’était fini. Le vent est bien tombé et s’il fait encore frais, c’est très supportable. Mon sirop Rami m’a à peu près enlevé la toux ; mes jambes sont moins lasses. J’espère que lundi je serai tout à fait d’aplomb. Ce matin à déjeuner nous avons eu du civet de lapin ; j’en avais beaucoup mangé, mais cela avait du mal à passer et dans l’heure avec la poussière et l’odeur j’ai cru que cela allait se gâter. Mais cela s’est remis au grand air. En revenant j’ai pris 2 canevas au rhum et ce soir j’ai dîné légèrement.
La fatigue des élèves vient de ce que c’est nous-mêmes qui manœuvrons. Jadis il y avait des sections de manœuvre, mais on a vidé les dépôts et il n’y a plus de quoi nous former des hommes.
Demain mes galons vont être posés sur mes vêtements. Le capitaine cette semaine a noté mon carnet assez bien, c’est mieux que la fois d’avant.
Je pense que je n’aurais pas besoin de me porter consultant dimanche.
J’écrirai à ton oncle pour remercier du petit bonnet et lui donner des nouvelles. Je ne crois pas qu’il ait encore écrit au capitaine car sans doute celui-ci m’en aurait parlé aujourd’hui ; en tout cas j’ai toute confiance dans ton oncle et je ne crois pas que le capitaine puisse se formaliser. En me causant aujourd’hui, il me disait : vous, vous êtes déjà marié et père de famille et semblait aspirer à faire de même.
J’ai lu ta lettre au docteur, elle est très bien et je pense qu’il ne se froissera pas.
Je répondrai dimanche à Devoyod dont l’accès à Valréas, me paraît assez problématique.
Pour répondre à ta préoccupation, je n’ai pas été gêné pour marcher ayant des draps et pouvant me déshabiller. Dimanche soir par exemple, j’étais furieux ; je m’étais mis du linge propre que j’ai sali le soir même.
Je ne sais pas ce que ton oncle pense de la situation mais le recul allemand devant les Anglais me paraît intéressant. D’autre part le capitaine nous a dit que l’offensive était imminente et il ne paraît pas douter du succès de notre méthode. En tout cas tout le monde ici a grande confiance et compte sur la fin pour cette année.
Je termine ma lettre en t’embrassant bien tendrement ainsi que la petite. Comme je voudrais te voir avec les deux petits mignons ! Si tu ne peux m’écrire ta mère pourrait peut-être me donner des nouvelles. J’espère que son rhume est finalement passé. Fais lui toutes mes amitiés.
Dimanche j’écrirai à différentes personnes, à Clermont notamment où j’annoncerai l’événement qui ne doit être connu.
Encore une fois tous les baisers de ton Marcel.

Mon petit Yves,
Te voilà donc avec une petite sœur ; tu vas être bien content de la bercer et un peu plus tard de jouer avec ; toi qui est un grand garçon tu seras son protecteur tant que papa sonnedat ne sera pas là ; en t’occupant d’elle tu aideras ta petite maman et nous vous aimerons tous deux davantage toi de te voir gentil avec elle et elle de te permettre de montrer ton bon petit cœur. Et en attendant je te charge d’embrasser la petite sœur au nom de ton papa caporal.
Pour toi mille bons baisers.
Ton papa Marcel.


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