Vincennes, le 19 février 1917
Lundi matin
Mon chéri,
Je viens de recevoir en m’éveillant ta lettre du 16, en même temps je recevais une lettre de Suzanne me demandant d’aller déjeuner un jour de cette semaine. Elle me disait que son père avait eu le plaisir de te lire, qu’il te répondrait bientôt. Je ne sais si je me déciderai à y aller, les voyages si petits soient ils ne m’enthousiasment pas beaucoup ! Si j’y vais ce serait parce que l’on me parlera de toi.
Je vois que la vie à Valréas est très remplie, qu’il ne te reste guère de temps pour toi. Mais enfin comment te trouves-tu au point de vue santé ? Tu ne m’en parles jamais, ce surmenage ne t’occasionne-t-il pas trop de troubles dans ta santé en général ? Tu dois certainement ne pas être très à ton aise avec toutes ces allées et venues.
Nous n’avons pas passé un bien agréable dimanche, il pleuvait et je n’ai pu sortir Yves. J’avais fait le matin le ménage, particulièrement de notre chambre, c’est là que nous nous sommes tenus, j’essaye de tenir la maison comme si tu étais là et que tu puisses la voir ! C’est un peu sot ce que je te dis là !
Madame Sibaud est venue après avoir été voir ses soldats à Bégin.
Et toi mon chéri, comment as-tu passé ce dimanche ? As-tu eu un peu de temps à toi ? As-tu pu te laver un peu à ton aise ? Je pense t’envoyer un petit colis pour tes goûtés, il faut manger car tu fatigues beaucoup. Tu as dû recevoir la lettre où je te parlais des molletières et as-tu répondu à ta mère ?
J’ai eu dernièrement la visite de Mlle Selles, je crois qu’elle devient tout à fait toc-toc !
Le fils de Mme Tissier, le plus jeune, qui était cavalier, a été envoyé au mois de décembre dans la 3e infanterie coloniale et il est à Salonique ; l’autre est toujours dans les mêmes conditions, mais il a souffert beaucoup du froid.
Je ne sais si j’ai bien compris un article dans le journal l’autre fois, mais je crois bien que l’on s’attaque cette fois-ci à Messieurs les payeurs, je n’aurai pas été fâchée de voir mon oncle, pour avoir un peu son opinion sur la situation, on me disait l’autre jour, vois jusqu’où vont les esprits inventifs, que des soldats avaient eu un avis concernant ce qu’ils devaient faire en cas de démobilisation, je n’en crois pas un mot ! Je t’écris cela pour te donner idée de tout ce que l’on raconte.
Peut-être aurai-je une plus longue lettre de toi mardi ou mercredi, tu auras peut-être eu un peu de liberté pour m’écrire dimanche.
Maman est assez enrhumée aussi son caractère s’en ressent-il.
La température est tout à fait radoucie maintenant et je pense bien que le froid n’est pas près de reprendre. Je dis tant mieux aussi bien pour toi que pour nous. Le chauffage se fera bien plus facilement.
J’ai maintenant tout ce qu’il faut à la maison et je n’ai plus je crois qu’à attendre ! nous te préviendrons aussitôt !
Allons, je te quitte pour ce matin mon chéri en t’embrassant bien tendrement de tout cœur.
Tout à toi.
Emilie
[Ligne d’Yves] Mon papa chéri,
Je suis bien sage et bien mignon avec maman. Hier j’ai vu grand-mère Sibaud qui t’embrasse bien. Je pense bien à toi et t’envoie beaucoup de baisers.
Ton petit Yves