Lettre du 19 avril 1917 de Marcel Sibaud

Valréas le 19 avril 1817

 

Ma petite chérie,
Ce soir je t’écris plus tôt que d’habitude, il n’est que 5h 45. C’est que je ne sais si je pourrais le faire plus tard. Ce matin nous avons manœuvré de 6h 45 à 10h ½. Nous avons recommencé à 12h ½ jusqu’à 15h ½ et ce soir nous repartons en manœuvre de nuit à 19h ½ au moins pour jusqu’à minuit. Je suis plutôt vanné d’autant que dimanche dernier en me coupant les ongles, je me suis un peu fait mal au pouce du pied gauche et à chaque pas que je fais, je ne suis pas à la noce.
Pour nos 3 dernières semaines, je crois qu’on veut nous anéantir. 2 manœuvres de bataillon dans la semaine, le mercredi et le samedi, celui du 12 mai étant reporté au 11 pour que nous finissions là-dessus ! Avec cela le mistral se remet de la partie, c’est gai ! Ainsi dimanche je renoncerai à faire à pied le chemin de Pierrelatte à La Palud. Et puisque la plus jeune des demoiselles Salignon doit venir m’attendre à la gare, j’accepte quelque [?] le retard du train.
Je te remercie bien des 2 quatre-quarts et du chocolat. Je ferai également bon accueil à la boîte de jambon mais si cela ne t’ennuie pas, je ne serais pas fâché d’en savoir le prix pour y proportionner ma consommation. Merci également des confitures et œufs durs. Pour la brosse et le papier, merci tout de même bien que l’utilité ne soit pas grande. J’ai dû arriver un peu tard pour la vaseline mentholée.
En ce qui concerne la voiture, si tu peux vendre ou faire vendre la vieille 20 frs et que maman veut bien mettre 45 frs, il me semble que tu n’as pas à penser à mettre cinq, voire même 20 frs de plus pour en avoir une plus fraîche. Celle-ci arrivera pour la belle-saison et avec quelques précautions il sera facile d’éviter une rouille prématurée. Choisis plutôt une infrastructure crème qui paraîtra toujours plus fraîche.
En ce qui concerne mon affectation, je ne voudrais pas que la vaccination et l’opération me fassent perdre une bonne occasion s’il s’en présentait une. En ce cas je marcherais de suite sauf à voir après. On a l’air de prévoir ici la possibilité que nous soyons instructeurs de la classe 1918 et on nous donne quelques indications à cet effet. Mais je crois qu’on ne peut guère compter là-dessus. Ce que tu me dis pour oncle Emile est fort judicieux et je ne l’oublierai pas.
Je te quitte en t’embrassant mille et mille fois.

Ton Marcel
Bons baisers aux petits.
Amitiés aux mamans.


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Lettre du 18 avril 1917 au soir d’Emilie Sibaud

Vincennes, le 18 avril 1917
Mercredi soir

 

Mon chéri,
Enfin ! J’espère pouvoir t’écrire plus longuement et plus tranquillement aujourd’hui qu’hier.
J’ai reçu ta gentille lettre à 3h ½ comme d’habitude. J’ai pu la lire dans le calme de notre chambre auprès du berceau de notre petite Tranquille, maman ayant emmené Yves promener.
En même temps que ta lettre, j’en ai reçu une de Suzanne me disant de ne pas apporter d’œufs pour Yves vendredi car ils en ont rapporté de leur voyage de tout frais à son intention. L’idée est gentille, n’est-ce-pas ? Sa lettre est charmante, ils espèrent, me dit-elle, de bonnes nouvelles de toi en détails de vive voix.
Ensuite Armelle est arrivée. Elle n’avait pas amené Abel mais elle doit revenir tout exprès avec lui pour qu’il joue avec Yves. Abel envoyait une paire de petits souliers de cuir bleu à sa petite amie Marcelle. Ils sont tous mignons, tu verras. Nous avons bavardé beaucoup. Armelle n’est partie qu’à 7 heures, elle était très inquiète n’ayant pas eu de lettres de son mari depuis 5 jours alors qu’il est sous les murs de St Quentin, en revanche dans sa dernière lettre, il était plein d’espoir, selon lui, les derniers coups de canon auraient lieu en novembre au plus tard. Armelle me dit que son mari a un ami lieutenant mitrailleur et que c’est beaucoup mieux qu’officier d’infanterie ordinaire. D’abord plus intéressant et aussi beaucoup moins exposé. Elle m’a dit de la rappeler à ton bon souvenir. Nous pensons nous voir beaucoup cet été, elle amène Abel au bois. Elle a trouvé Yves très gentil petit garçon et selon elle « distingué ».
En revenant de la promenade maman a rencontré M. et Mme N. qui t’envoient toutes leurs amitiés. Te rappelles-tu le fils Ch. qui avait été comme auxiliaire à la Caisse ? Malgré ses jambes abîmées, il est pris bon pour le service armé et part le 18. Il faut que Georges soit joliment malade pour ne pas être pris du tout, je crois.
Je voudrais bien avoir beau temps demain pour aller à Auteuil, du reste je n’irais que dans ce cas.
Je t’enverrai ta vaseline goménolée dans un autre colis. Je n’y ai plus pensé.
Te rappelles-tu Mme Poulet ? La mère de la jeune femme qui était ta cavalière au mariage d’Armelle, elle vient de mourir toute seule dans une maison de santé de st Mandé, un peu dans les conditions de M. W. M. Laurel son gendre que tu as connu quelque peu autrefois, je crois, est toujours dans le train, mais craint d’être reversé dans l’infanterie. Sa femme a fait preuve selon mon impression personnelle d’une belle indifférence vis-à-vis de sa mère. On lui téléphone à 8h de la maison de santé et elle n’y a été que le lendemain matin ! Berthe B. est fiancée à son nouveau chef, 47 ans ! Elle est dans une ambulance du front depuis 6 mois. Louise bien qu’aînée n’a pas envie de trouver un mari. Mme B. aurait préféré que ce soit elle qui se marie la première. Je te raconte un tas de potins qui ne doivent guère t’intéresser ! Ah encore, Armelle nous a apporté un souvenir de sa mère, sa photographie, très ressemblante d’ailleurs.
T’ai-je dit que j’avais été avec Yves mardi chez ta mère ? Elle a reçu ce jour-là une carte de toi ; elle doit répondre prochainement à tes deux cartes-lettres. Nous sommes sortis ensemble, elle va beaucoup mieux question rhume.
Yves est désolé du mauvais temps qui l’empêche d’aller faire des pâtés ! Que je te conte ce qu’il a dit hier ; nous parlions maman et moi de l’ophtalmo pour les yeux des enfants, je dis à maman «  oui il paraît que ce pauvre petit a de l’ophtalmo », alors Yves continuant à jouer répondait « sœurette, elle n’a pas bobo à ses petits yeux ! ». Il avait compris que c’était mal aux yeux. Nous nous sommes regarder stupéfaites maman et moi ; il a dit à Armelle qu’il fallait tuer tous les boches avec des gros canons pour que les papas de tous les petits enfants reviennent à la maison.
Que Dieu l’entende, qu’il nous réunisse bientôt autour du petit berceau, que je donnerais beaucoup pour te voir pencher sur le petit lit de notre sœurette et que ce soit le retour définitif, comme on se serrerait les uns près des autres.
Allons, au revoir mon chéri, à bientôt le plaisir de te lire, d’avoir de tes bonnes nouvelles. Je t’embrasse mille et mille fois. Sœurette et bébé Yves t’envoient leurs plus gros baisers.
Tout à toi.

Emilie


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Lettre du 18 avril 1917 d’Emilie Sibaud

Vincennes, le 18 avril 1917
Mercredi matin

 

Mon chéri,
J’ai reçu ta gentille lettre hier au moment de sortir, malgré le mauvais temps j’allais dire à ta mère qu’il y avait du bois en face de chez nous et qu’à tout hasard je lui en avais pris 30 k. elle a été très contente, moi-même j’en ai commandé aussi 50 k. ; il vaut encore mieux cela que tien à cause des enfants.
Aujourd’hui j’ai Armelle qui vient de passer l’après-midi. Au fond je m’en serais bien passée, c’est un surcoût de besogne et malgré le plaisir que j’ai de la voir, j’aurais préféré qu’elle ne vienne pas. Elle a mis un mot chez la concierge hier matin pour me prévenir qu’elle viendrait travaille à la maison aujourd’hui ; obligation de faire la maison à peu près. Je la recevrai dans notre chambre à cause du feu. Nous sommes d’ailleurs assez gentils, je coirs, pour faire comme cela et puis enfin c’est la guerre ! Je ne crois pas qu’elle amène Abel avec elle. Je le regretterai, cela aurait fait un petit ami pour Yves.
Justement tu me demandes de la graisse pour les souliers, j’en ai mis dans le colis sans savoir, cela tombe bien.
Quel vilain temps nous avons : pluie, vent, froid. Quand sortirons-nous de cet hiver ?
Tiens, voilà sœurette qui pleure. 11h, il va être l’heure que je m’occupe d’elle. Elle a pris son bain et tète à 8h, elle sommeille dans son lit depuis ce temps. Elle est toujours bien mignonne et se porte bien. J’ai laissé le poids d’Yves, car j’ai égaré le papier sur lequel je l’avais noté, mais je sais que cela faisait une augmentation. Je vais sûrement le trouver et je te l’enverrai.
J’enregistre soigneusement tout ce que tu me dis pour les affectations.
Je vais être obligée de te quitter, j’ai tellement à faire. Ah oui je me serais volontiers passée de cette visite !!! J’aimerais mieux rester bavarde avec toi, tranquille. Je n’aime pas écrire en vitesse comme cela et puis c’est le meilleur moment de ma journée gâté. Mais je me rattraperai ce soir. Je t’écris longuement, seulement je voulais que ma lettre parte avant midi.
Yves a été bien content de ton petit mot.
Au revoir mon aimé, à bientôt de tes bonnes nouvelles. Je t’embrasse mille et mille fois.
Tout à toi.

Emilie

Bonnes caresses de sœurette à son papa et bons baisers de bébé Yves.
J’ai écris à Suzanne ces jours derniers et j’ai annoncé que tu étais sergent. Dans quelques temps tu pourras peut-être écrire à mon oncle, lui donner quelques détails sur ta vie militaire. D’ailleurs je t’écrirai notre entrevue de vendredi.


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Lettre du 18 avril 1917 de Marcel Sibaud

Valréas, le 18 avril 1917

 

Ma petite chérie,
Je suis heureux de savoir qu’il n’est plus question de rhume pour sœurette ni trace de malaise pour Yves et que ta mère va mieux. Mais je regrette pour l’ennui qu’il te cause l’état d’énervement dans lequel elle se trouve. Je ne voudrais pas te savoir encore cet ennui qui s’ajoute aux tracas que tu te fais.
J’ai pu obtenir aujourd’hui l’entretien dont je t’ai parlé précédemment. Naturellement je n’ai rien eu de ferme quant à mon succès éventuel. Mais l’ensemble de la conversation me laisse bon espoir, meilleur même que je n’osais l’espérer. En effet j’ai eu confirmation que pour la coloniale tout se fait au ministère, au hasard, pense-t-on. Et mon interlocuteur m’a dit « en tous cas vous allez sans doute demander le 23e colonial ». Il me déconseille, oh mais très fortement, Salonique à divers points de vue. Pour la mitraille rien ne lui paraît s’opposer à ce que je n’ai quelle de ce côté, non plus d’ailleurs du côté des Sénégalais. Mais ce qui me paraît meilleur, c’est qu’il envisage ma titularisation, voire comme lieutenant, me faisant remarquer le mauvais effet que cela pourrait avoir sur les gens non avertis de me voir à la révision des grades redevenir sergent. Si donc on envisage ma titularisation possible, c’est que mes notes ne seraient pas trop mauvaises. En causant j’ai su qu’aucune réponse n’a encore été adressée à ton oncle, mais qu’il y en aura une : ce sera sans doute l’annonce du résultat final. En tous cas je puis me féliciter d’être venu cette fois, puisque c’est le dernier cours. Dorénavant on ne passera plus directement sous-lieutenant. On ira dans les écoles de la zone des armées où l’on obtiendra un diplôme, condition sine qua none pour devenir officier sur le front au fur et à mesure des besoins.
Ainsi donc si tu vois qui tu sais : sauf occasion meilleure, je songe au 23e colonial et orientation vers la mitraille. Mais je ne suis pas fixé irrévocablement et choisirais volontiers telle autre, voire qui paraîtrait meilleure, voire les Sénégalais, mais de préférence pas Salonique.
Le travail donne encore pas mal et dimanche je vais à La Palud. J’écris à la caisse à A. en lui demandant de transmettre une lettre à Mme Martin. L’instructeur de mitrailleuse nous a communiqué son cours manuscrit qui est assez long. Nous n’avons guère le temps de le copier. Il y a bien ici un dactylo mais il n’est ni habile ni rapide ni raisonnable comme prix. Je demande à Mme Martin si elle se chargerait du travail et à quelles conditions.
Je te quitte ma petite chérie en t’embrassant mille et mille fois.

Ton Marcel

Bons baisers aux petits. Amitiés aux mamans.

T’ai-je dit que j’ai reçu un mot de Delaunay qui me demande de mes nouvelles et me souhaite d’instruire le plus longtemps possible la classe 1918. Je doute que son souhait se réalise.
D’après les derniers tuyaux, les Anglais après avoir cru à une guerre très longue la croiraient près de finir.


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Lettre du 17 avril 1917 d’Emilie Sibaud

Vincennes, le 17 avril 1917
Mardi matin

 

Mon chéri,
J’ai reçu hier au soir avec un vif plaisir ta lettre.
Hier après-midi nous avons été au cours de notre promenade porter ton colis à la gare. J’espère que tu le recevras bientôt. Il contient autre les 2 quatre-quarts annoncés, du chocolat au lait, une boîte de jambon pour changer du pâté, du [?] à mettre avec ton pain, des confitures, la fameuse brosse, le papier, des œufs durs, je crois que c’est tout.
Hier j’ai été aussi porter la voiture à réparer, mais en voici bien une autre ! Les roues se sont usées à rouler sans pneu et l’on craint que ceux-ci ne tiennent pas, c’est bien ennuyeux. Je me demande ce que je dois faire, dis-moi, dois-je tenter la réparation obligatoire qui monte à 45 fr, malgré ces fameuses roues abîmées, ou bien prendre une voiture neuve, soit par exemple 75 fr., me faisant vendre ma voiture dans les 20 fr. Cela ne me fait pas une grosse différence, quand penses-tu ? Ta mère, elle, n’y voit pas d’inconvénients. Je suis perplexe, d’un côté la suspension de l’ancienne voiture n’est plus si bonne, tout étant un peu mal vue maintenant. Enfin j’attends ta réponse pour me décider.
J’ai sorti sœurette hier mais aujourd’hui hélas : pluie, vent, etc. Nous voici bloqués à la maison. Yves est allé au marché avec maman.
Ne t’inquiète pas de ma santé, cela n’a été qu’un léger malaise dû sans doute en partie aux émotions que j’ai traversé et surtout au froid. Mais tout est fini et au contraire je vais plutôt mieux, je crois, que lorsque tu es venu. Je reprends des forces, j’ai rencontré plusieurs fois le docteur Campergues qui m’a trouvé bonne mine.
Nous irons probablement déjeuner vendredi chez les Gallo. J’ai déjà lancé un jalon pour les « propositions », j’ai préparé le terrain.
Cela va être un petit voyage puisqu’une expédition avec les deux enfants.
J’ai reçu une longue lettre de tante Amélie, toujours aimable. Elle nous invite à faire un séjour à Clermont. Pendant que j’y songe, si tu passes par Clermont, ne dis pas trop à Oncle Emile que l’on t’avait bien équipé pour aller à Valréas ; laisse lui comprendre que son envoi de l’année dernière t’a servi au contraire à être bien équipé, il sera content comme cela. Tu sais, c’est une idée personnelle si tu crois mieux faire en parlant autrement, que je ne t’influence pas.
Nous sommes toujours assez malheureux pour le charbon heureusement le chantier mairie ouvre vendredi.
Cet hiver n’en finit pas, si seulement c’était le dernier de la guerre ! Notre offensive semble nous faire de belles promesses mais on n’ose plus fonder trop d’espoir ! Allons, je te quitte mon chérie en t’embrassant mille et mille fois de tout cœur.
Tout à toi.

Emilie

Les bonnes caresses de sœurette avec son plus doux sourire, et gros baisers de ton cher petit Yves.


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