Lettre du 18 avril 1917 au soir d’Emilie Sibaud

Vincennes, le 18 avril 1917
Mercredi soir

 

Mon chéri,
Enfin ! J’espère pouvoir t’écrire plus longuement et plus tranquillement aujourd’hui qu’hier.
J’ai reçu ta gentille lettre à 3h ½ comme d’habitude. J’ai pu la lire dans le calme de notre chambre auprès du berceau de notre petite Tranquille, maman ayant emmené Yves promener.
En même temps que ta lettre, j’en ai reçu une de Suzanne me disant de ne pas apporter d’œufs pour Yves vendredi car ils en ont rapporté de leur voyage de tout frais à son intention. L’idée est gentille, n’est-ce-pas ? Sa lettre est charmante, ils espèrent, me dit-elle, de bonnes nouvelles de toi en détails de vive voix.
Ensuite Armelle est arrivée. Elle n’avait pas amené Abel mais elle doit revenir tout exprès avec lui pour qu’il joue avec Yves. Abel envoyait une paire de petits souliers de cuir bleu à sa petite amie Marcelle. Ils sont tous mignons, tu verras. Nous avons bavardé beaucoup. Armelle n’est partie qu’à 7 heures, elle était très inquiète n’ayant pas eu de lettres de son mari depuis 5 jours alors qu’il est sous les murs de St Quentin, en revanche dans sa dernière lettre, il était plein d’espoir, selon lui, les derniers coups de canon auraient lieu en novembre au plus tard. Armelle me dit que son mari a un ami lieutenant mitrailleur et que c’est beaucoup mieux qu’officier d’infanterie ordinaire. D’abord plus intéressant et aussi beaucoup moins exposé. Elle m’a dit de la rappeler à ton bon souvenir. Nous pensons nous voir beaucoup cet été, elle amène Abel au bois. Elle a trouvé Yves très gentil petit garçon et selon elle « distingué ».
En revenant de la promenade maman a rencontré M. et Mme N. qui t’envoient toutes leurs amitiés. Te rappelles-tu le fils Ch. qui avait été comme auxiliaire à la Caisse ? Malgré ses jambes abîmées, il est pris bon pour le service armé et part le 18. Il faut que Georges soit joliment malade pour ne pas être pris du tout, je crois.
Je voudrais bien avoir beau temps demain pour aller à Auteuil, du reste je n’irais que dans ce cas.
Je t’enverrai ta vaseline goménolée dans un autre colis. Je n’y ai plus pensé.
Te rappelles-tu Mme Poulet ? La mère de la jeune femme qui était ta cavalière au mariage d’Armelle, elle vient de mourir toute seule dans une maison de santé de st Mandé, un peu dans les conditions de M. W. M. Laurel son gendre que tu as connu quelque peu autrefois, je crois, est toujours dans le train, mais craint d’être reversé dans l’infanterie. Sa femme a fait preuve selon mon impression personnelle d’une belle indifférence vis-à-vis de sa mère. On lui téléphone à 8h de la maison de santé et elle n’y a été que le lendemain matin ! Berthe B. est fiancée à son nouveau chef, 47 ans ! Elle est dans une ambulance du front depuis 6 mois. Louise bien qu’aînée n’a pas envie de trouver un mari. Mme B. aurait préféré que ce soit elle qui se marie la première. Je te raconte un tas de potins qui ne doivent guère t’intéresser ! Ah encore, Armelle nous a apporté un souvenir de sa mère, sa photographie, très ressemblante d’ailleurs.
T’ai-je dit que j’avais été avec Yves mardi chez ta mère ? Elle a reçu ce jour-là une carte de toi ; elle doit répondre prochainement à tes deux cartes-lettres. Nous sommes sortis ensemble, elle va beaucoup mieux question rhume.
Yves est désolé du mauvais temps qui l’empêche d’aller faire des pâtés ! Que je te conte ce qu’il a dit hier ; nous parlions maman et moi de l’ophtalmo pour les yeux des enfants, je dis à maman «  oui il paraît que ce pauvre petit a de l’ophtalmo », alors Yves continuant à jouer répondait « sœurette, elle n’a pas bobo à ses petits yeux ! ». Il avait compris que c’était mal aux yeux. Nous nous sommes regarder stupéfaites maman et moi ; il a dit à Armelle qu’il fallait tuer tous les boches avec des gros canons pour que les papas de tous les petits enfants reviennent à la maison.
Que Dieu l’entende, qu’il nous réunisse bientôt autour du petit berceau, que je donnerais beaucoup pour te voir pencher sur le petit lit de notre sœurette et que ce soit le retour définitif, comme on se serrerait les uns près des autres.
Allons, au revoir mon chéri, à bientôt le plaisir de te lire, d’avoir de tes bonnes nouvelles. Je t’embrasse mille et mille fois. Sœurette et bébé Yves t’envoient leurs plus gros baisers.
Tout à toi.

Emilie


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