Lettre du 27 avril 1917 de Marcel Sibaud

Valréas, le 27 avril 1917

 

Ma petite chérie,
Je t’écris ce soir à 5h ½ car il y a manœuvre de nuit. La journée a pourtant été déjà longue mais pas embêtante. Par exemple il nous tombe un nouveau travail qui va me gâter les projets que j’avais fait pour dimanche.
A la manœuvre j’ai bien ri. Le capitaine major de l’école m’appelle ; il m’avait un peu secoué, c’est sa manière au dernier exercice de nuit. Il me le rappelle et me donne une orange avec une large poignée de main ; il crie facilement mais il est fond très gentil.
J’ai appris avec joie le poids d’Yves. Il me paraît magnifique si mes souvenirs sont exacts. Cher petit ! Cela fera j’espère un beau garçon ! Pourvu qu’il n’aille pas prendre le mal de son petit voisin. Je suis d’ailleurs bien peiné de savoir Roger si fortement pris.
Je vais remercier maman pour la voiture ; mais cela a dû lui faire une bien grosse dépense. A-t-on défalqué la valeur de reprise de la vieille ; as-tu complété la différence, le cas échéant.
Les réflexions de Toto sont vraiment étonnantes. Mais il ne faut pas se tourmenter pour un mot que je te dis et qui paraît un peu gris. J’ai tort, je le reconnais de laisser parfois échapper un mot de travers. Mais tu comprends, le moment où je t’écris est le seul où je pense parler à cœur ouvert. On a besoin de communiquer à quelqu’un ses impressions et n’est-il pas naturel que ce soit à toi. Mais ne crains rien, la foi reste solide, l’espoir ne disparaît pas et si le mistral parfois arrive à incliner légèrement la cime de mon optimisme, le beau soleil printanier, une lettre chérie, une parcelle de gui ont vite fait de lui donner une nouvelle vigueur et de la faire pointer plus haut encore dans le ciel bleu.
Au fond j’espère bien qu’il me sera donné de les protéger longtemps les chers petits et la maman avec. Si seulement je pouvais revenir avec sur la poitrine une tache qui ne serait pas du sang à côté d’une autre où donnerait le vert sombre des bois vosgiens ! On tâchera d’y arriver !
Là-dessus je te quitte, il faut que j’aille à la poste porter le cours que j’envoie à faire polycopier.
Pour toi et les petits mes meilleurs baisers ;
Ton Marcel

Mon cher petit Yves ;
C’est bien gentil à toi d’avoir ramassé un brin de gui pour ton papa sonnedat. Le gui lui est particulièrement cher à ce vieux troupier et tu pourras demander à maman si elle se souvient d’une grosse touffe de gui sous laquelle elle est passée il y a bien longtemps au bras de papa. Puisse ton petit rameau m’être aussi favorable que ce gui de jadis.
Et ce qui me plaît aussi c’est que tu as choisi un symbole bien français. Quand tu seras plus grand, tu apprendras que les gaulois le cueillaient pieusement sur les grands chênes des forêts de France ; ils montaient sur leurs grosses branches et couverts de longues robes blanches. Ils cueillaient la plante avec une faucille d’or, cela devait être beau, n’est-ce pas ? On criait « Au gui l’an neuf ». Nous pourrons aussi le crier un jour quand nous aurons cueilli le gui de la victoire. Cette fois-là comme les vieux druides aux longues moustaches, mon petit Yves mettra son joli costume blanc avec lequel il est si mignon.
Au revoir mon petit chéri. Pour sœurette et toi mes meilleurs baisers.
Papa sonnedat !


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