Valréas, le 13 avril 1917
Ma petite chérie,
D’ordinaire le vendredi 13 me réussit bien et de fait j’ai reçu deux lettres de toi.
La 1ère me tranquillisait sur ton retour à la maison, retour toute seule comme une pauvre petite malheureuse mais retour sans encombre. Le petit mot d’Yves aussi m’avait fait bien plaisir. Certes j’aurais été content de l’embrasser avant de partir et même sur le quai, mais je m’en serais voulu et pour lui et pour toi de le réveiller. Je suis parti avec son image de petit ange endormi dans ces poses gracieuses qu’il prend naturellement. Et ton retour a pu être plus aisé qu’il n’eut été avec lui.
Mais ta seconde lettre m’a peiné. J’avais comme une sorte de pressentiment que tu ne disais pas aller bien et hier soir je te demandais spécialement de tes nouvelles. Tu avais été très fatiguée pendant mon séjour ; tu t’étais beaucoup tourmentée avant et le départ aussi t’avait secouée. Je craignais trop justement hélas que tu ne t’en ressentes. Pourvu que cela ne soit rien et que tu n’aies pas pris mal avec ce satané temps. J’attendrai d’autant plus impatiemment ta prochaine lettre.
Je regrette aussi beaucoup que ta mère n’aille toujours pas bien, il faut qu’elle se soigne et se soutienne ; n’hésite pas à faire venir la doctoresse.
En revanche je suis heureux que sœurette ne soit pas enrhumée. Si jeune, c’est toujours ennuyeux.
Si c’est de la brosse à dents que tu as voulu me parler, ne t’inquiète pas, je l’ai laissée exprès car j’ai retrouvé la mienne qui s’était glissé dans mon petit capuchon.
Ne te bouscule pas pour un colis. Je n’ai pas encore fini les confitures et ma boîte de pâté n’est pas ouverte. Quant au quatre-quarts, il sera toujours le bienvenu, surtout fait par toi.
Le temps ici aussi est mauvais. Il a plu toute la nuit, mais il ne fait pas froid et j’ai û quitter mon chandail pour la nuit et ne pas mettre ma capote sur mes pieds. Je me suis couché tôt et levé pas de trop bonne heure. Mais j’ai toujours les jambes fatiguées d’une façon incroyable. J’ai peiné à lever les pieds pour monter une marche. Quant à courir j’en suis à peu près incapable. Quelques jours d’arrêt font apparaître la fatigue et l’on a beaucoup de mal à se remettre en train.
Heureusement demain il n’y a pas manœuvre de bataillon et dimanche je me reposerai. Ce soir encore je ne me coucherai pas tard.
D’après de nouveaux tuyaux les cours dureraient jusqu’au 11 mai et le départ serait pour le 12. En outre la permission de fin de cours n’empêcherait pas d’avoir la permission de détente sans préjudice de celle d’équipement ; cela ferait près de 3 semaines.
Il vient de partir une quinzaine de coloniaux déjà nommés.
Je te quitte ma petite chérie en t’embrassant mille et mille fois ainsi que les chers petits.
Ton Marcel
Amitiés aux mamans.