Lettre du 2 avril 1917 de Marcel Sibaud

Valréas, le 2 avril 1917

Ma petite chérie,
Aujourd’hui journée mélangée. Temps superbe et doux. Mon mal de gorge et d’oreille a un peu près complètement disparu ; mon pied soulagé. On fait de la pratique de mitrailleuse où j’ai pu encore remarquer que je n’étais pas indifférent au capitaine instructeur. Un officier grand blessé retour d’Allemagne avec un œil de verre boche mais il peut être juste si bien misé qu’on remarque seulement une certaine fixité dans le regard d’autant que la paupière bat et un larynx d’argent, ce qui ne l’empêche pas de parler et de faire sur une matière compliquée comme les mitrailleuses un cours si clair qu’un enfant le comprendrait.
A ce sujet, renseignements pris, si je ne puis obtenir affectation meilleure, je crois que contrairement à l’avis du commandant de dépôt, je serais bien  pris comme officier mitrailleur.
Après cela, reçu ta lettre. Merci du mandat qui est le bienvenu. Avec mes 6 frs de prêt me revoici à flot, c’est égal, je dépense 15 à 16 sous par jour le vin blanc : c’est salé ! Ce matin il m’a fait d’autant plus plaisir que c’est toi qui est allée le mettre à la poste.
Tu me félicites pour mon « bien » j’ai fait un nouvel effort pour décrocher un très bien, mais je ne sais si je vais y parvenir. En tout cas je viens, paraît-il, de l’avoir en dessin panoramique et d’après le tuyau d’un collègue qui paraît sérieux, le capitaine aurait conservé mon œuvre. Cela ne pourra que l’encourager.
Il ne faut pas s’étonner de notre arrêt ; il était prévu. C’était sûr que les boches avaient dû préparer une position d’arrêt ; leur repli d’ailleurs forcé pouvait avoir pour but de retarder notre offensive en obligeant à une nouvelle préparation. Mais quel prix pour cela : un pareil recul.
Dès que l’artillerie aura avancé, l’avance reprendra mails il faut patienter un peu. Rien d’ailleurs ne permet encore de croire que la guerre ne finira pas cette année.
Le gros gâteau et le pâté sont déjà loin. Les confitures, les biscuits et le chocolat sont entamés.
Je regretterai aussi de ne pas voir ton oncle à Pâques.
Ce soir manœuvre où un autre capitaine m’a causé fort aimablement. Enfin conférence ce soir. Toute la section était réunie ; le capitaine qui nous fait les travaux de campagne s’approche de moi en m’appelant par mon nom que j’aurais juré qu’il ignorait et me remet un plus pour la collectivité.
Il me semble que je suis plutôt avantageusement connu.
Passons au moins bon de la journée. Ce matin : laissé choir ma ceinture et ma montre et cassé le verre. Mais le verre blanc, je crois, porté bonheur. En tout cas 1 fr de dépense.
Ce matin, parlé au capitaine pour la permission. Il se charge d’en parler au colonel, mais ce soir il ne m’a pas rendu réponse encore. En tous cas il me laissait le soin de traiter moi-même la question ordre de transport. J’ai été au bureau, j’aurai mon ordre. Mon droit est bien 3 jours à la maison, délais de route en sus. Mais je n’ose espérer les avoir et ici je ne pourrai rien dire évidemment. Mais le plus triste, c’est que le train de permissionnaires sur lequel je comptais est supprimé à partir du 1er avril. Il faut que je compte une trentaine d’heures pour aller à Paris, plus le retard probable ! Quelle tuile ! Mais tant pis je ne veux pas remettre.
Reçu une aimable lettre des dames Salignon qui pour le cas où je n’aurais pas de permission m’invitent pour le dimanche ou le lundi de Pâques ; je leur répondrai aussitôt fixé d’une façon ferme sur ma perm.
Moi aussi je serais bien content que tu viennes à la gare. Mais combien d’heure devras-tu attendre ? Enfin je te dirai dès que possible l’heure présumée de mon arrivée. Il est probable que j’aurai à me débrouiller car les places les places des trains seraient retenues jusqu’après Pâques et je monte en cours de route. Mais il faudra bien qu’on me prenne, serait-ce dans le fourgon à bagages !
Vu aujourd’hui le portrait de Mme Bernados. Il me montre une glace avec un portrait au verso. Je croyais que c’était un portrait comme on en met sur les cartes postales, celui d’une jeune élégante et je dis : « Jolie petite bonne femme », quelle gaffe ! Sa femme a 11 ans de moins que lui soit une vingtaine d’années ; elle a des origines anglaises.
Tâche si tu peux de me préparer un porte-serviette que j’emporterai. Réflexion faite si je m’achète un képi, ce sera peut-être chez Delcoin.
Un des capitaines qui m’a causé m’a dit que je pourrais trouver à bon compte une boussole d’occasion chez un brocanteur de la rue Lepic. Mais je doute que je puisse y aller. Un élève a ici un appareil Kodack idéal pour le front mais comptant près de 100 frs.
Je t’embrasse mille et mille fois.
Ton Marcel


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