Lettre du 1er avril 1917 de Marcel Sibaud

Valréas, le 1er avril 1917

 

Ma petite chérie,
Encore un dimanche de passé. Certes il aurait pu être plus agréable par exemple si j’avais été à la maison, mais j’ai été tranquille, j’ai pu faire mes petites affaires à mon idée, c’est déjà quelque chose.
Levé de bonne heure, je me suis fait ma toilette en grand puis je me suis occupé de mes galons. Il pleuvait et dans ce sacré pays j’ai eu toutes peines du monde à trouver ce que je voulais ; encore ne voulait-on rien poser un dimanche. J’ai donc posé mes galons moi-même, assez mal d’ailleurs, comme tu verras. Tu m’arrangeras cela mieux. Coût des galons et de la transformation du képi 3fr 85, ce qui a bien réduit mon solde. Mais les rentrées ne vont pas tarder.
Je me suis examiné le pied. Sans en avoir l’air j’avais une sorte de cor que j’ai enlevé, ce qui a découvert un petit trou. Cela m’a bien soulagé et je pense que je pourrais remarcher sans douleur. De son côté ma crevasse digitale se referme. Mais ce soir j’ai un peu mal à la gorge et dans l’oreille gauche. J’espère que cela ne durera pas et ne tournera pas en angine comme l’autre fois.
Il fait très doux aujourd’hui.
Je me suis informé des trains. Le mieux pour moi est d’aller prendre le train militaire de Montélimar à 4h du soir. Sauf retard on arrive à Paris à 7h du matin. Si seulement cela pouvait être samedi. Demain je soulève la question.
J’ai été bien partagé pour le courrier. Autre ta lettre, la lettre de maman, d’oncle Auguste, de tante Brisset, de Devoyod, de M. Gaucherel.
D’abord la tienne. Je crains que ton mal de tête ne soit dû à une reprise trop brusque de tes occupations. Il faut y aller progressivement, ne va pas trop vite. Evidemment nous avons eu tord de ne pas renvoyer les papiers à ton oncle mais il devrait comprendre que nous n’avons pas que cela à penser. Il faut les lui rendre le plutôt possible, toutes réserves étant faites sur sa façon de faire pour les réclamer.
Dans un mot que j’ai écrit à maman, je lui donne le nom de la boussole (Peigin) et l’adresse du marchand (Berger Levrault, coin du Bd Saint-Germain et de la rue Solférino) pour le cas où comme institutrice elle pourrait avoir une remise.
Je tâcherai pour aller à Paris de m’acheter ici un képi convenable, à moins que je ne le prenne à Vincennes ; oui cela vaudra mieux. Je risquerais de l’abîmer en route ; le retour suffira bien, bien que cela fasse deux képis à porter ; nous irons l’acheter ensemble. Je le prendrai en drap officier de façon si je suis reçu de pouvoir faire appliquer les galons de sous-lieutenant.
J’ai préparé aujourd’hui mes paquets pour mon voyage. Mais je n’ai pu acheter mes provisions à rapporter étant un peu à court. Je n’oublie pas des berlingots pour Roger. Ce sera une économie sensible de les porter moi-même.
Je serai content d’apprendre l’augmentation de sœurette en 8 jours. Dans sa lettre maman me dit les amitiés de la famille Drahonet pour nous ; elle trouve aussi sœurette superbe et douce et Yves tout à fait mignon.
Oncle Auguste nous félicite ; ils sont inquiets pour Jean qui est dans un camp de représailles et est obligé de travailler sur le front boche.
Tante Brisset aussi nous félicite et m’accable comme toujours de questions, elle est à Lyon avec Marguerite ; il faut que je lui dise depuis combien de temps je suis à Valréas, ce que j’y fais ! les dates exactes de naissance d’Yves et Marcelle ! et d’écrire gros car elle a mauvaise vue.
Monsieur  Gaucherel me dit que depuis son reversement dans l’infanterie son fils mène une vie infernale qui lui permet à peine d’écrire à ses parents. Il a pu suivre un cours du sous-officier, mais au moment de devenir élève officier on l’a envoyé au dépôt divisionnaire.
Enfin Devoyod me demande des renseignements sur Valréas, car il compte être pris et de fait quand je vois ce qu’on a pris ici je le crois. C’est égal, je ne puis admettre qu’on tape ainsi dans les réformés et qu’on ne touche pas aux auxiliaires.
Je te quitte ma petite chérie en t’embrassant mille et mille fois ainsi que les petits en attendant de le faire bientôt pour de bon.
Ton Marcel

Amitiés aux mamans.


Commentaires fermés sur Lettre du 1er avril 1917 de Marcel Sibaud

Filed under Lettres de Marcel Sibaud

Comments are closed.