Lettre du 9 mars 1917 de Marcel Sibaud

Valréas, le 9 mars 1917

 

Ma petite chérie,
Quel drôle de climat ! Ce matin nous sommes partis à 6h ½ par temps bas mais doux ; nous pataugions dans la boue mais il faisait presque chaud à marcher. Nous faisons des manœuvres de compagnie. A un moment le missionnaire qui arrive à la fin de son mois de redoublement avait été désigné pour faire une patrouille, qui a-t-il pris avec lui ? Moi, naturellement. Nous avons beaucoup causé notamment sur le travail des femmes, sur l’influence de la guerre sur la famille ; nous étions tout à fait d’accord ; cela nous a occupés pendant le trajet fort long et pénible à travers des ravins abrupts. Enfin, tout mouillés de sueur nous somme arrivés à destination sur la hauteur. Le vent s’était élevé et cependant il fallait s’immobiliser en sentinelle et prendre un croquis. Comme il dessine mal, c’est moi qui l’ai fait. Mais le vent vous collait la chemise sur la peau, nous étions gelés. Enfin nous avons été relevés. Mais nos tribulations n’étaient pas finies. Après le déjeuner, petite tempête de neige. Nous espérions ne pas retourner manœuvrer. Il n’en fut rien. Le vent était si froid que la neige chassée presque horizontalement formant des croûtes de glace sur les arbres. J’avais mis ma petite pèlerine. Le capitaine me l’a fait enlever. Heureusement la neige cessait peu après. Mais le vent continuait et l’on gelait partout. On nous a tenus pourtant toute la journée dehors. Si demain il n’y a pas de malades ce sera merveilleux.
Mais parlons de choses plus intéressantes. J’ai reçu de toi 2 lettres aujourd’hui, 1 datée du 5 mars l’autre du 6. J’en suis enchanté mais pourvu que demain je n’en sois pas privé. D’après la description que tu m’en fais, il me semble que Marcelle doit être très gentille et je m’en réjouis. Je suis très heureux de tous les petits détails que tu me donnes. Rien ne saurait m’être plus agréable et j’espère que tu continueras car j’en ai encore au mois pour un mois avant de vous revoir.
Tu me dis que les Gallo ont répondu par télégramme. Est-ce que tu avais demandé Suzanne pour marraine ? Sinon, ne vas-tu pas le faire ? A propos je n’ai pas encore eu de lettre de ton oncle. Je ne crois pas non plus qu’il ait écrit au capitaine. Quand les Gallo viendront tu leur diras bien des choses de ma part et tu ne manqueras pas de dire combien je regrette la nouvelle indisposition de René.
J’envoie ce soir une carte à la famille Huet pour les remercier. J’en mets une aussi pour les Barsay.
Tu ne m’avais pas encore dit comment la naissance s’était passée. Comme pour Yves cela a duré 7 heures. Et tu as naturellement bien souffert ; c’est hélas inévitable mais je suis heureux de savoir que tu as été moins abattue que pour Yves. Tu remercieras la doctoresse de son bon souvenir. Je vais d’ailleurs lui envoyer un mot.
Quelle tranquillité tu m’as donnée en me disant que vous avez 18°-22°. Je craignais tant le froid pour vous. Surtout ne te force pas et ne va pas prendre froid.
J’ai écrit au chef, à Lambel, à Devoyod, à Georges, à Clermont naturellement.
Quelle heureuse influence aura eu déjà sœurette si Yves passe les nuits à sec.
Tu me dis que tu n’arrives pas à tout me dire, moi c’est la même chose. Je crois que nous aurons de quoi parler à Pâques. En tout cas le moment où je t’écris est aussi pour moi le bon moment de la journée. Je vois que tu sais toujours le « petit garçon dans la montagne ». Je donnerais cher pour l’entendre où pour faire l’échelle à Yves pendant que tu donnerais à téter à Marcelle. Enfin cela viendra.
Tes croquettes de Phoscao sont délicieuses et me font d’agréables petits déjeuners ou goûters. Le pain d’épices est très bon. J’ai encore du sucre quoiqu’ayant pris un peu avec du rhum pour faciliter quelques digestions difficiles.
Je ne mangerai plus de civet de lapin cela ne me réussit pas ici.
J’ai continué jusqu’ici le vin blanc mais ai consulté oncle Emile au sujet de son remplacement par l’eau.
J’ai eu quelques petites dépenses qui me sont revenues à 6,2 frs. Dimanche je paierai les 15 frs de ma chambre. Tu vois donc que je suis large.
J’ai pu me rendre compte qu’ici il faut en jeter plein les yeux, je vois des types qui passent très longtemps à faire  sur leurs carnets défigurées avec des couleurs variées, sans rien savoir du fond ; cela prend, ils sont appréciés.
Puisque tu as trouvé bons les petits berlingots, je tâcherai de refaire un petit colis un de ces jours. A ce propos ; aimes-tu les truffes ? C’est le pays ici et si cela te plaît les prix étant abordables je pourrais t’en envoyer. Je crois que tu n’adores pas les dattes.
Tu me dis que tu m’as écrit tous les jours ; je revois les dates de tes lettres. C’est exact sauf naturellement pour le 1er mars. Je suppose que ce jour-là tu n’as pas dû écrire.

Je te quitte ma petite chérie en t’embrassant de tout cœur ainsi que les 2 tout petits.
Ton Marcel


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