Lettre du 19 mars 1917 d’Emilie Sibaud

Vincennes, le 19 mars 1917
Lundi matin

 

Mon chéri,
Comme je le pensais bien, je n’ai pas eu de lettre de toi hier, mais ce matin j’en avais une à 9h, celle que tu m’as écrite le 17 au soir.
Tu avais raison, Péronne et Bapaume sont entre nos mains au moment où je reçois ta lettre, cette guerre de mouvement que l’on a tant attendu est-elle arrivée ? Allons-nous continuer à progresser ? En tout les cas je tremble lorsque tu me dis « nous poursuivrons les boches jusque chez eux ». Quand cela finira-t-il ? Que vienne l’époque bénie, que tu fais miroiter à mes yeux où je t’aurai enfin retrouvé et où entourés de nos deux chers petits nous goûterons un instant de repos sans soucis du lendemain.
J’espère que tu as passé une bonne journée hier dimanche à La Palud. Ta mère est venue hier, je ne la verrai pas jeudi prochain ni le dimanche d’après, elle va en matinée je crois chez les A.
Mme Codechèvre est, paraît-il, très souffrante. Je crois bien que la pauvre femme ne se remettra pas. Marie est au ministère. Georges craint bien d’être repris dans l’auxiliaire et d’être envoyé dans la zone des armées.
T’ai-je dit que Mme Lamy était venue et avait apporté des petits chaussons de laine pour soeurette. Suzanne devait venir aujourd’hui mais elle vient de m’écrire un mot pour me dire que ce sera pour demain. Ma tante s’est beaucoup fatiguée pour René et elle pense être mieux demain ; sa lettre était d’ailleurs très affectueuse, elle parlait beaucoup de sa filleule !
Hier je me suis mise un peu dans un fauteuil, mes jambes sont toujours pareilles, elles sont faibles. Je vais tâcher de rester un peu plus chaque jour. Je me demande quand je pourrai marcher. Je voudrais pourtant être forte pour quand tu viendras.
J’avais été bien contente que tu consultes oncle Emile, d’un autre côté je voudrais bien t’avoir tout le temps, il n’est pas si long ce temps hélas ! Je vais écrire à Clermont aujourd’hui ou demain pour répondre à Marie…
Je me suis arrêtée d’écrire pour regarder sœurette, qu’elle est mignonne dans son petit moïse, si rose dans le blanc ; mais on dirait qu’elle est blonde ; elle me regarde. Elle ne dort pas et semble me dire, ne m’oublie pas auprès de mon papa, dis lui que je suis sage, que je suis une jolie petite personne ! Maintenant elle ne ressemble plus à Yves, elle a le teint beaucoup plus clair, les yeux plus grands, elle a plus l’air bébé qu’Yves n’avait au même âge. Sera-t-elle aussi jolie que lui après, ça je ne sais pas car il devient beau notre toto, tu verras cela quand tu vas venir. Il est sorti avec maman pour la carte de sucre, nous avons droit à un supplément pour les petits. Maman est allée voir.
Le temps est un jour beau un jour vilain, je ne pourrai toujours pas sortir sœurette. Ce la donne moins de regrets de ne pas me lever.
Sais-tu que nous faisons honneur aux nougats et aux berlingots, Yves et moi. Ils sont excellents.
N’as-tu pas été trop fatigué par les dernières manœuvres ?
Peut-être te lirai-je ce soir à 3h ½ puisque en somme ta lettre de ce matin était hier à Vincennes.
Que penses-tu des événements en Russie ? Je crois que l’on ne s’attendait pas tout de même à cela.
Sois tranquille pour l’accord entre ta mère et nous, cela va très bien, nous n’avons jamais un mot et si elle ne vient pas tous les jeudis et tous les dimanches, c’est parce qu’elle a des cours ou des visites à faire. Mon accueil a toujours été le même pour elle, je dirais même aimable car je te voudrais heureux en ce qui peut dépendre de moi. Allons, au revoir mon chéri. Je t’embrasse bien tendrement de tout cœur, Yves et sœurette t’envoient leurs plus affectueuses caresses.
Tout à toi.

Emilie


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