Lettre du 18 mars 1917 d’Emilie Sibaud

Vincennes, le 18 mars 1917
Dimanche matin

 

Mon chéri,
Les violettes et la fleur rose d’amandier que tu m’as si gentiment mis dans ta lettre m’ont fait bien plaisir, que n’ai-je pu les cueillir avec toi !
Je vois qu’il y a des perturbations dans le service des postes car mes lettres partent toujours à la même heure.
Les nouvelles dans le journal de ca matin ont l’air de donner raison à ton optimisme, Bapaume est pris, 13 villages, nous avons Roye et Lassigny ! Madame Lamy qui est venue me voir hier nous disait justement qu’on lui avait laissé entendre que le recul Boche commençait.
compiegne zeppelin 17 mars 1917Dans la nuit de vendredi à samedi, nous avons eu alerte de zeppelin (1), en réalité je n’ai rien entendu du tout. J’ai été très étonnée quand on nous a dit cela le samedi matin, au fond j’aime mieux cela, je n’y aurais rien fait et j’aurais été émotionnée car j’ai beau avoir charge d’âmes, comme tu dis, prendre mon rôle de maman très au sérieux, j’aurais eu peur tout de même. Je ne suis pas comme Yves moi. Monsieur Toto aurait bien voulu voir le zeppelin et surtout les canons qui l’ont abattu, dire qu’on en arrive là. Dieu sait pourtant si je suis peu sanguinaire, on en arrive à dire en lisant la chute du monstre « Tant mieux ! » ; on en lit les détails avec appétit ; on ne parvient pas à plaindre ceux qui sont morts ! Ils nous ont fait tant de mal ! Nos soldats n’ont fait que venger tant de victimes innocentes, de pauvres petits qui n’avaient rien à faire avec la guerre.
Aujourd’hui tu vas sans doute aller à La Palud, si le temps est le même qu’ici, tu auras un beau soleil pour faire cette petite promenade. Je n’espère pas te lire aujourd’hui, dimanche il n’y a pas de courrier à 3h !
Hier samedi je me suis mise sur le fauteuil 3 minutes, mais je n’avais pas beaucoup de force, les jambes ne me soutenaient pas. Je vais recommencer aujourd’hui et tous les jours, c’est que j’en ai assez d’être couchée ! Maman est très fatiguée par tout ce qu’il y a faire dans la maison, Yves ne la décharge pas, tant s’en faut ! Il l’énerve plutôt ; c’est moi qui en subit le contre coup, maman n’a pas été habituée à s’occuper des petits, pour le promener, pour jouer avec lui, ça va bien mais pour s’occuper de l’enfant pour les soins, on voit très bien qu’elle n’a pas l’habitude. Moi je suis tellement habituée à me lever, à me baisser, que je ne vois même pas. Maman s’aperçoit peut-être pour la première fois, ne ris pas !, que j’étais plutôt facile étant bébé ! Mais je perds du temps… et du papier à te raconter ces petites choses, en somme sans importances mais qui m’agacent joliment ! Il y a des choses très mineurs qui vous font mal ; d’entendre crier après Yves, cela me contrarie, c’est assez naturel qu’il me réclame, il avait tellement l’habitude que ce soit moi exclusivement qui m’occupe de lui, c’est toujours « avec maman, je veux maman ! ». Il est certainement plus dur que sœurette, mais un garçon ne peut pas avoir le même caractère qu’une petite fille ! Je vais te quitter pour faire la grande toilette de sœurette, elle m’attend patiemment la petite mignonne. Demain Maman va t’envoyer un petit colis pour qu’il t’arrive aussitôt l’autre fini, pour les berlingots de Roger une petite comme la première d’Yves suffit. A propos de berlingots, tu penses bien qu’Yves avait tout mangé ! Seulement il en a eu d’autres d’ici et il a voulu à toute force t’en envoyer quelques uns dans ton colis ! Nous avons oublié la clé de la boîte.
Au revoir mon chéri, ma pensée t’accompagnera dans ta promenade qui je l’espère te sera agréable. Je t’embrasse bien tendrement et encore une fois merci de ton aimable envoi de fleurs. Petite sœurette et Yves joignent leurs baisers aux miens et t’envoient aussi leurs plus douces caresses.
Tout à toi.
Emilie

Amitiés des mamans.
Je t’écris au crayon parce que je n’ai pas à porter de main l’encre !

 

1 : 17 Mars 1917
Le Zeppelin LZ86 (L39) est abattu par l’artillerie anti-aérienne française au-dessus de Compiègne.
Cf. Page internet sur l’événement.

Commentaires fermés sur Lettre du 18 mars 1917 d’Emilie Sibaud

Filed under Lettres d'Emilie Sibaud

Comments are closed.