Lettre du 15 mars 1917 de Marcel Sibaud

Valréas, le 15 mars 1917

 

Ma petite chérie,
Ce matin encore pas de lettres de toi. Il n’en est arrivé que ce soir mais une longue de quoi compenser largement une journée mistral.
Masi je regrette cet état de nervosité qui te fait souffrir quand on parle de moi. J’espère que le jour est proche où tout cela finira. La prise de Bagdad a une grosse importance. Si les Turcs veulent défendre leur situation asiatique, il leur faudra dégarnir leur front européen et alors Salonique pourra tendre la main à la Roumanie. Quant à notre front les nouvelles sont excellentes : les Boches décampent devant les Anglais ; Amiens va se trouver complètement à l’abri. La chute de Bapaume et de Péronne est imminente. Peut-être sera-t-elle un fait accompli quand tu recevras ma lettre et alors c’est sans doute la chute de la pointe du front. Ce n’est déjà plus surestimer la guerre de tranchée : les boches jouent en plain air. On forme paraît-il des régiments légers coloniaux pour la poursuite. Nous les fouaillerons la baïonnette aux reins jusque dans leur sale pays !
Et après ce sera une joyeuse reprise de la vie de chez nous, un nouveau Larmor avec deux petits museaux autour de nous.
Ce que je t’ai dit au sujet de l’incident de la lettre, c’est l’énoncé d’une simple crainte. Dans une précédente lettre tu me disais la bonne entente qui régnait et ça avait été pour moi une douce satisfaction ; l’affaire de la lettre quelques jours après m’avait attristé. Cette bonne entente est le plus ardent de mes désirs. J’y espère de tout mon cœur quand je suis là. Quelle tristesse ce serait pour moi si elle n’existait pas en mon absence. Si loin, si seul, si séparé de tous ceux que j’aime, je serais navré que le trouble naquit entre eux surtout pour une affaire me concernant.
Il me semble que sœurette a changé plus vite de peau qu’Yves, tant mieux car c’est une période désagréable.
Ce que j’ai voulu te dire des cours de Valréas, c’est que peut-être on ne prendrait plus d’élèves  dans mon genre, tables rases en matière militaire et n’ayant pas été au front. Mais si cela se réalisait et ce n’est qu’une hypothèse, cela ne change rien pour nous. Je suis toujours avec le capitaine. Mais il est venu un nouveau capitaine de coloniale qui à la haute main sur 4 groupes dont le mien ; il a l’air d’ailleurs très gentil. Tu vois donc qu’il n’y a rien pour t’inquiéter.
Je n’aspire pas à redoubler comme le missionnaire. Les redoublants passent un examen de sortie qui n’existe pas pour les autres ; en effet les notes obtenues au fur et à mesure comptent pour la sortie.
Je t’assure que je ne me suis pas ruiné à vous envoyer quelques petites friandises. Je vais d’ailleurs toucher mon prêt de caporal : 5fr 25 pour 15 jours en attendant d’être sergent ce qui peut-être ne tardera pas beaucoup si le destin m’est favorable.
Je n’ai guère de relations parce que je travaille et ne mets pas les pieds au café. Mais je suis bien avec tout le monde. Le missionnaire, comme tous les redoublants, est sergent  nommé à l’école. Je continue à me trouver toujours avec lui et avec un jeune abbé qui est de notre cours. Le missionnaire va bientôt partir sous-lieutenant. Il a redoublé parce qu’arrivé, paraît-il, après le commencement des cours.
J’ai demandé ma permission pour dimanche. J’ai reçu des dames Salignon une gracieuse invitation à déjeuner. La gare me délivrera un billet. Je ferai un peu de toilette le samedi soir : le train est à 7h 15, changement à Pierrelatte et nouveau train pour La Palud. J’y serai vers 10h. Donc pas de fatigue et sauf le voyage pas de dépense en dehors du dîner probablement. Tante Amélie avait déjà annoncé la naissance de Marcelle dont ces dames nous félicitent. Je les remercie ce soir.
Le mistral est de plus en plus fort pourvu qu’il fasse beau dimanche.
On vient de demander ceux qui voudraient prendre des douches aux ursulines. Ayant ma chambrée et de l’eau chaude quand je veux, je m’abstiens présumant ce que seront les douches : des moyens de s’enrhumer. Je n’en ai pas besoin.
Je continue d’aller bien et à manger de même. J’ai fait de bonne nuit depuis le début de la semaine, m’étant couché tôt. Ce soir par exemple j’ai un peu à faire.
Je me dis que dimanche, je n’aurai plus que 3 semaines avant d’aller vous embrasser tous, car je suis bien décidé à prendre 48 heures au moins en plus du congé de Pâques, ce qui fera au moins 4 jours. En temps utile je demanderai un ordre de transport gratuit. Oncle Emile au nom de tous voudrait bien me voir passer par Clermont. Je n’en serais pas fâché, ne serait-ce que pour le consulter de visu mais je ne crois pas que j’aurai le temps. A la fin des cours si mon temps ne m’est pas compté, j’essayerai peut-être un crochet.
Je te quitte ma petite chérie en t’embrassant mille et mille fois ainsi que les mignons.

Ton Marcel

Merci à Yves de son petit mot.
Amitiés aux mamans.


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