Valréas, le 18.2.1917
Ma petite chérie,
Je comptais sur ce dimanche pour t’écrire longuement, il est 9h ¼ du soir et je commence seulement.
Hier en prévision du dimanche, je m’étais couché de bonne heure (8h ¾) sans mettre mes cahiers à jour. Je devais me lever ce matin à 8 h étant de jour. Les fonctions d’élève de jour m’ont fait perdre une partie de la journée mais en tant que vaguemestre elles m’ont permis de recevoir de suite 2 lettres de toi (celles de jeudi et vendredi). Après une toilette soignée, j’ai été chez le capitaine pour le rapport mais il n’était pas encore levé. Je l’ai trouvé après la soupe qui était à 10 h ; il sortait de chez lui ; je pensais que là peut-être il ne serait pas seulement « mon capitaine » mais sans doute comme c’était dans la rue il n’en a rien été.
Hier cependant à la manœuvre du bataillon commandée par le colonel il m’a dit à un moment « Marcel Sibaud, à votre place ! ». Le colonel m’a interrogé sur le terrain, le capitaine m’ayant désigné et j’ai bien répondu. Aujourd’hui j’ai rencontré le colonel dans le couloir des Ursulines ; il m’a reconnu et m’a dit « bonjour M. Sibaud ».
Je ne suis plus seul pour ma chambre M. Bernados, rédacteur au travail (don de la Mutualité) ancien attaché de cabinet de bourgeois, m’a demandé si je voulais partager avec lui ? Je n’en aurai donc que pour 15 frs. D’autre part il est très sérieux et ne semble demander qu’à travailler.
Dans l’après-midi, je me suis fait donner un broc d’eau chaude et me suis lavé avec plaisir aussi complètement que possible. Puis j’ai donne mon linge à blanchir. Je me suis remis à jour pour le travail. Demain réveil à 6 heure, interrogation par le capitaine à 6 heures 45 : la semaine commence ! Quel gavage ! Le temps reste beau et doux. Samedi à la manœuvre en capote nous avions trop chaud.
Maintenant je réponds à tes lettres. Certes j’aimerai à voir le pays avec toi, mais tu as dû voir ce que dis le colonel. A moins que cela ne se tasse, je ne pourrais pas mener de front la vie de famille et celle de l’école ; je pourrais à peine te voir et tu te trouverais alors bien dépaysée avec le tout petit. Enfin nous en reparlerons.
Pour les molletières, rien ne presse je crois car je ne les mettrais certainement pas pour aller à la manœuvre : ce serait donc seulement pour le dimanche. Néanmoins peut-être me déciderai-je par paresse de rouler les bandes. Mais si je les mets, elles seront sans doute abîmées à la fin du stage ; enfin si maman veut me les payer, je vais voir et lui écrirai. Comme choses utiles, il y a encore une lampe électrique de poche, un liseur de carte et des pantoufles. Je vais m’occuper de prendre des pantoufles, il y a ici aussi des liseurs mais tout cela est un peu cher : je vais voir. D’autant que mon « pinard blanc » me coûte cher 1fr25 le litre : c’est ma plus grosse dépense. Il ne me reste de ce fait que 41 frs. Heureusement la chambre ne va plus me revenir qu’à 15 frs. Je suis bien content de savoir que petit Yves est sage et pense à son papa ; ses petits mots sont bien gentils et me font bien plaisir comme ceux de sa maman.
J’ai reçu la lettre de maman qui a été bien contente de votre visite. Il paraît que Toto a été tout à fait mignon. Maman s’inquiète sur la dureté des exercices ici ; il est certain qu’on nous fait donner dur mais cela va bien et j’espère que cela continuera car la nourriture est bonne et l’air idéal. La meilleure preuve que cela va bien c’est que m’étant égratigné la lèvre avec ma fourchette, je n’ai pas eu d’aphte. L’avocat de Nancy se nomme Cabasse : quel bavard ! Enfin j’en suis abrité dans ma chambre. Escande, notre doyen d’âge, n’est bon qu’à faire du chahut et ne fiche rien !
Je te quitte ma petite chérie en t’embrassant de tout cœur.
Ton Marcel
Bon baisers à bébé Yves. Amitiés aux mamans et merci des leurs.
Je te ferai dès que je pourrai un petit envoi de lettres reçues, d’objets inutiles et de cartes choisies qui te permettront de juger du pays.
Les petites cartes lettres ont l’avantage de permettre d’aller vite mais je ne puis rien y joindre.
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