Lettre du 12 février 1917 de Marcel Sibaud

Valréas, le 12.2.1917

 

Ma petite chérie,
Ma première journée s’est terminée comme elle avait commencé de façon fort satisfaisante. J’ai été reconnaître le pays qui est pittoresque : beaucoup de vieilles maisons à fenêtres renaissance, mais d’une renaissance sobre du meilleur effet, église romane, un peu dans le genre du Puy. Le dîner a été digne du déjeuner : pas de hors-d’œuvre le soir mais toujours du dessert. Couché de bonne heure, j’ai fait une excellente nuit. Je n’avais pas encore de drap, mais j’ai eu bien chaud. La matinée s’est passée sans incidents. J’ai mis mes affaires en ordre puis avec Maurel, j’ai été voir l’arrivée du train. Nous espérions voir venir M. mais ce fût en vain. Tous les élèves (près de 400) étant arrivés, on a fait la répartition des sections. Je suis dans celle du capitaine Codechèvre. Est-ce le hasard ? Pas tout à fait, je crois. Je l’ai vu  mais n’ai pas encore eu l’occasion de lui parler. Il doit nous voir individuellement demain. Il a l’allure très jeune, assez fort mais sans excès, mise très élégante, fausses bottes à l’écuyère, l’air un peu distant.
J’oubliais de te dire que ce matin, j’ai trouvé pour un prix raisonnable (1fr25) des petites courroies du meilleur effet pour mes bandes. Vu en même temps des molletières(1) abordables : 18 francs en cuir naturel 2 pièces, 22 francs en cuir brun rouge moulé. Peut-être me déciderai-je pour la sortie à en prendre. J’ai rejoint mon cantonnement définitif : grande salle où l’on pouvait faire une scène ; j’ai choisi la scène, il y fera plus chaud, je pense.
J’ai rangé mes affaires, j’ai bouclé mes théories faisant double avec celles que j’ai. Demain nous commencerons. Il nous restera peu de temps. Voici l’emploi du temps : à 8 h visite du capitaine, à 9h30 allocution du colonel. Déjeuner à 11h. Manœuvre de 1 à 5. 5h30 fin. Dîner 7h15. Appelé à 8h ½. Extinction des feux à 9 heures pour cause d’économie de charbon (l’électricité est faite par chute d’eau ! Ô logique).
La question de la chambre se pose, car nous sommes assez mal pour travailler. Mais les chambres sont à un prix élevé, plutôt plus de 30 francs ; peut-être ferons nous à deux avec Maurel.
Je suis dans la section dite des illettrés militaires. Sur 30 au dernier cours, 24 ont été nommés sous-lieutenants, 4 ont redoublé pour 1 mois ½, 2 ont été collés.
Il paraît que les coloniaux sont nommés caporaux au bout de 1 mois environ puis sergents, enfin sous-lieutenants. Les levées ont lieu à 7h et 12h pour nos lettres. Ayant perdu du temps à voir des chambres, je me trouve pris de court pour mettre ta lettre de peur de manquer l’appel. Je la mettrai demain matin. Peut-être airai-je le plaisir de te lire.
Les soldats mariés ont seuls le droit de coucher en ville ; la discipline est très stricte à cet égard.
Quand j’aurai pris un peu plus contact, j’écrirai à ton oncle. As-tu remercié Clermont ?
Comment vas-tu ?
Je suis impatient d’avoir de tes nouvelles. Reçois mes meilleurs baisers.

Ton Marcel.

Bons baisers à Toto. Bonjour aux mamans. Dans l’adresse mets bien 3e section.

 

1- Guêtre de cuir ou d’étoffe qui recouvre la jambe depuis le bas jusqu’en dessous du genou.

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