Valréas, le 11.2.17
3 heures
Ma petite chérie,
Quand tu recevras cette lettre, tu auras sans doute déjà reçu ma carte de Pierrelatte et mon bleu de Valréas : tu dois donc être tranquillisée.
Je vais maintenant te donner quelques détails. Composition du compartiment, en face de moi une dame mariée déjà d’un certain âge mais d’ailleurs assez jeune me rappelant Mme Laloup, la dame accompagnée d’un monsieur marié déjà sur le retour ; mais je ne sais pourquoi, tout mariés qu’ils paraissaient être, ce ne devait être ensemble ; plus loin un adjoint chef d’artillerie. En face de lui une cocotte ; à ma droite un maréchal des logis du même régiment d’artillerie se rendait à Lyon en permission de 7 jours. Voyage quelconque.
Nous repassons par Maisse car pour le première fois j’ai rejoint Lyon comme pour aller à Clermont par St-Germain-des-Fossés puis Roanne.
A Nevers après quelques petits retards rattrapés nous étions à l’heure. Mais à Saincaize ½ h de retard. A Moulin, nous en avons 50’. Après quoi assez somnolent je n’ai plus compté mais le retard était considérable. Entre temps, avant Saint-Germain-des-Fossés, j’avais dîné ayant grignoté pain d’épices et petits beurres vers 4 heures. Mais n’avais-je pas faim, avais-je trop chaud ou plutôt m’avais-tu trop bien servi, je n’ai pu arriver au bout de mon repas. Le maréchal des logis qui avait faim en a très légèrement profité.
A Montélimar ayant pris bien d’avance toutes mes précautions, j’ai pu sortir mon baluchon sans trop de peine. Puis attente de plusieurs heures dans 1 salle bondée. Je somnolais au point que 2 fois mon casque a roulé par terre. Le capitaine des chasseurs remarqué au départ sur le quai à la gare de Paris était là. En fait le train de Pierrelatte est arrivé avec un retard énorme. Je l’ai pris et quitté sans trop de peine avec un sergent d’infanterie, nous aidant mutuellement. A Pierrelatte, agréable surprise de voir arriver Maurel envoyé à Valréas au titre des tirailleurs sénégalais. Grande affluence de coloniale. Les autres arriveront sans doute demain.
Pendant tout le parcours, j’ai eu chaud plutôt trop chaud et sans grand agrément pour nos secondes classes car le wagon des soldats et indigènes de classes. Autour de Paris presque plus de neige.
Quoiqu’ayant évité de toucher les objets, mes mains sont repoussantes et le lavabo n’a pas d’eau. A Pierrelatte près d’un café avec un élève soldat comme moi qui été torpillé retour d’Indochine : coulé en 50’. Puis café avec Maurel fromage et vin blanc. Le train de Valréas est retardé. Nous avons le temps de voir un peu Pierrelatte, petit pays. Le verglas est inquiétant.
Enfin Valréas ! Le site est agréable : plaines, montagnes neigeuses au fond. 1 sergent nous conduit à l’école heureusement assez voisine de la gare. Il dégèle : beau soleil qui ne tardera plus à se coucher après avoir chauffé notre toilette bien désirée en plein air. L’école est un ancien couvent d’ursulines. On nous couche provisoirement car nous ne serons classés que demain. J’ai 2 matelas très propres, 1 paillasse, 3 ouvertures, 1 traversin. Avec ma couverture, toile de feutre, capote, je crois que cela ira. Electricité dans la chambre, mais pas de feu ; c’est de là que je t’écris les mains un peu fraîches. A 11 heures déjeuner aux halles, marché couvert qu’on a calfeutré en réfectoire. Soupe, pâté de foie délicieux, bœuf, haricots, confitures, le tout on peut le dire à discrétion ; pain très bon et vin rouge ; rosettes de France ; soldats pour le service et la vaisselle. Le capitaine Codechevre rentrera demain de permission de 7 jours.
L’emploi du temps a l’air sérieux. Réveil 6h ; on nous apporte le café. Aide et manœuvre puis déjeuner. Court repos, manœuvre puis étude et dîner ; rentrée à 7 heures…
Décidément il ne fait pas chaud. Je me demande si c’est là l’étude. Je voulais faire beaucoup de lettres mais je n’ai pas assez chaud…
J’ai bien sommeil mais je ne veux pas me coucher avant dîner.
Je me suis bien lavé et rasé : demain présentation. Ce n’est pas nous qui faisons la chambre. Bref cela se présente assez bien. J’espère que cela durera.
En attendant de te lire, je t’embrasse mille et mille fois ainsi que toto. N’avez-vous pas pris froid l’un ni l’autre ? Etes-vous bien rentrés ?
Amitiés aux mamans.
Ton Marcel
On lève nos lettres à 7 heures et à midi.