Vincennes, le 17 février 1917
Samedi matin
Je n’ai pas eu le plaisir de te lire ce matin, hier au soir je n’étais plus à espérer ; c’est sans doute que tu n’as pas eu le temps ou que le courrier est en retard.
Comment te trouves-tu ? Ici la température s’adoucit. Ce matin nous avons du brouillard.
Hier je ne suis pas sortie, je n’étais pas très en train. Que la maison est triste sans toi ! Le soir en regardant Yves dormir, si joli dans son petit lit, je ne peux m’empêcher de pleurer en songeant que tu ne le vois pas. Je me sens le cœur serré et je ne peux m’endormir ou si je m’endors je me réveille brusquement sans plus savoir où je suis. Ce doit être nerveux.
Aujourd’hui je vais tâcher de faire quelques courses, cela me remuera un peu !
Bébé est toujours bien gentil et pense bien à son cher papa soldat. Je ne sais si je le sortirai, car il fait très humide. Il y a deux ou trois jours, on se plaignait du froid aujourd’hui que le température est plus douce, c’est parce qu’il fait humide, on n’est jamais content !
Quand cette horrible guerre finira-t-elle, mon Dieu !
Tu me mettras dans une de tes lettres l’adresse exacte qu’il faudra mettre sur la dépêche que nous t’enverrons le moment venu, et tu seras bien gentil si tu le peux, si tu dois venir de nous répondre par dépêche pour que nous sachions que tu as reçu la nouvelle [L’accouchement est imminent et le télégramme est le moyen le plus rapide pour prévenir Marcel de la venue de son deuxième enfant].
Veux-tu les manchettes bleues dont nous avons parlé ?
Je vais aller porter ta lettre, j’espère que tu as reçu mes autres lettres, et que tu es tranquille sur notre sort !
Je te quitte mon chéri, du moins je cesse de t’écrire, mais ma pensée elle te suit toujours. Chaque instant de la journée elle t’accompagne ! Pas une chose que je ne fasse, pas un travail que je n’entreprenne qui ne ramène ma pensée vers toi ! Je ne sais comment te dire ce que je souffre d’être éloignée de toi, je m’attendais bien à un chagrin, moi qui ne t’avais jamais quitté, mais je n’aurai jamais cru que cela me ferait si mal. Par moment j’ai le cœur si serré que je ne puis respirer, j’ai beau me raisonner, songer à nos tout petits, je ne peux surmonter mon mal. Dieu sait pourtant si j’y mets toute ma volonté. Je t’écris des folies, tu n’as pas besoin de t’inquiéter, il faut que te je te dise tout ce que je pense, tout ce que je ressens. Allons au revoir mon aimé. A bientôt j’espère de tes nouvelles, c’est le seul moment de la journée auquel j’espère. C’est un peu de toi qui vient vers moi ! Je me sens moins seule moins triste, je les relis combien de fois tes lettres !
Je t’embrasse bien tendrement.
Tout à toi.
Emilie
[Ligne d’Yves] Bons baisers et meilleures caresses à mon cher papa Marcel.
Ton Yves.