Vincennes, le 19 avril 1917
Jeudi soir
Je t’écris ce soir craignant de ne pas pouvoir le faire demain matin, puisque nous devons aller à Auteuil déjeuner. J’ai reçu à 3h ½ ta lettre. Je suis bien anxieuse aussi moi de savoir ce que tu sortiras de l’école et à quoi tu seras affecté.
Je crois qu’il était temps en effet pour Valréas ! Si cela pouvait être un indice que nous approchons de la fin ! que nous touchons au but ! Peut-être vais-je avoir demain quelques détails.
Il ne fait pas bien beau. Le canon doit détraquer le temps ! Je n’ai pas sorti sœurette aujourd’hui, elle est toujours bien sage et devient très gracieuse, elle sourit gentiment quand on lui parle. Que ce serait le bonheur si tu étais près de nous ! Que peine et chagrin seraient vite oubliés ! Il y a des jours où je me sens plus triste, un peu partout on entend des paroles d’espérance parfois je me dis « les beaux jours reviendront ! ». Je crois que si nous avons le bonheur d’être réunis dans un avenir pas trop lointain, je voudrais vivre sans plus penser à rien qu’à la joie de t’avoir ! Je rêve une vie tranquille sans soucis du monde, entre toi et nos chers petits ; les plaisirs d’autrefois me semblent bien vains ! Le plaisir que j’avais à recevoir ou à aller rendre visite par exemple je me demande si c’était bien moi, je n’aspire qu’au calme avec ta chère présence, je voudrais te faire la vie aussi douce que possible. Tiens, hier je parlais avec Armelle de notre existence au Chavert, je sentais une profonde émotion me tenir à ce doux souvenir. Oui elle a raison, nous avons, j’ai du moins eu ce bonheur court, il est vrai, ces quelques années, qu’elle n’a pas eu elle !
Mais me voici parti dans les souvenirs, parlons plutôt du présent. Tu ne me dis pas si tes jambes sont moins fatiguées ? Si cela ne t’a pas été trop dur de te remettre à tous ces exercices.
Je serais bien heureuse de te savoir chez les dames Salignon dimanche. Je te suivrai par la pensée ! Tu sais moi le dimanche me paraît encore plus triste, mais ce sera une consolation de te savoir un peu distrait de tes rudes occupations ordinaires.
Je vais te quitter pour aller m’occuper de sœurette, j’ai préparé toutes ses petites affaires pour demain, il faut la mettre belle pour aller voir sa marraine, n’est-il pas vrai ? Je mettrai Yves en blanc aussi, lui, il est si mignon comme cela ! Je vais lui acheter des gants pour quand tu viendras, cela lui donnera un petit air plus correct.
Je te quitte mon chéri en t’envoyant mille et mille baisers, reçois aussi les tendres caresses de nos chers petits, nous nous réunissons pour t’envoyer toute notre tendresse, toute notre affection.
Tout à toi.
Emilie
Amitiés des Mamans.