Lettre du 31 mars 1917 de Marcel Sibaud

Valréas, le 31 mars 1917

 

Ma petite chérie,
Aujourd’hui bonne journée. Temps printanier, soleil tempéré de nuages et de brise, donc tiédeur. Au déjeuner, j’ai eu le plaisir de m’entendre annoncer que par décision ministérielle, j’étais nommée sergent à dater du 1er avril ; agréable poisson d’avril, car si le grade de caporal était bien peu de chose et me différenciait peu du soldat, celui de sergent, au cas où je ne pourrais monter plus haut, est beaucoup plus intéressant. Le sous-officier est déjà quelqu’un. Et puis pendant le temps qui me reste à faire, je vais toucher près de 28 sous par jour, je crois ; c’est déjà appréciable. Je viens ce soir de découdre mes galons de caporal et demain je vais me faire sacrer sergent. Il faudra aussi à titre documentaire que je me procure les journaux officiels où figurent mes nominations car il paraît qu’elles sont publiées à l’officiel.
Le capitaine est toujours bizarre. Je m’étais empressé de le remercier, il m’a répondu très aimablement que c’était la suite automatique de ma nomination de caporal et qu’il n’y était donc pour rien.
Il a parlé aujourd’hui des congés de Pâques qui seraient, paraît-il, très courts : 48 heures au plus, peut-être même seulement des permissions à la journée. Demain je vais étudier l’horaire et j’entrerai lundi dans le vif de la question.
Demain mon programme est très chargé, outre le grand lavage, j’ai du travail d’abord, puis préparation de ce que j’emporterai pour aller à Vincennes, installation de mes galons, boutons à recoudre etc.
D’après certains tuyaux, il paraît que pour l’infanterie ordinaire, ce serait notre colonel en accord avec les instructeurs qui ferait les affectations en tenant compte des aptitudes et des désirs de chacun. Pour la coloniale, par exemple, tout se ferait au ministère même. A certains égards, on a avantage à être colonial. Ainsi les métropolitains ne sont pas nommés caporaux et sergents comme nous. Bernados est en train de se documenter sur un stage possible au génie, chemins de fer ou autres. C’est cela qui lui plairait.
A la fin du cours doit avoir lieu une revue. C’est Frère, le 1er prix de conservatoire qui en règlerait les détails ; il me réserverait une bonne place dans la salle ou dans les coulisses, pas sur la scène bien entendu : un poste de machiniste m’irait assez. Les promotions ici, comme celles de St Cyr ont un nom. Je crois savoir celui que nous aurons mais c’est encore un secret  il ne sonnera pas mal en tout cas.
Je ne me suis pas arrêté à l’idée de m’acheter un képi de sous-officier car si je suis admis, il faudrait en changer dans la semaine. Je vais seulement mettre une jugulaire au mien.
Je vais tâcher avant de me coucher de faire d’avance pour demain le plus de choses possibles pour avoir une grande journée à utiliser. Ainsi je viens de me faire couper les cheveux.
Par exemple je m’aperçois que j’ai augmenté la consommation du vin blanc ; je viens d’entamer mon avant dernier bille de 5 frs. Il est vrai que je toucherai mon prêt lundi et que je ne tarderai pas à recevoir un mandat.
Toutes ces histoires terminées que je réponde au moins à ta lettre reçue seulement ce soir.
Je suis bien content de savoir que les éternuements de sœurette et d’Yves n’ont pas eu de suite.  Puissent-ils demeurer rebelles au rhume. A ce propos, le mien paraît bien passé et je me sens bien d’aplomb. Il n’y a qu’un peu les mains et les pieds qui me gênent. On s’abîme pas mal les mains ici et j’ai au bout du pouce une petite crevasse rebelle à la crème du bon marché et qui me bat d’une façon fort désagréable. Quand au pied droit l’articulation sous le pouce est comme endolorie par un poids trop lourd et c’est bien désagréable.
Du moment que tu restes debout maintenant, je crois aussi que l’air te ferait du bien surtout que le temps ne saurait tarder à se mettre au beau.
Comme c’est ennuyeux cette question du charbon. Pourvu que cela ne vous fasse pas prendre froid. 15° c’est quelque chose, mais quand on ne bouge pas, c’est peu. Heureusement que l’hiver est à peu près passé.
Je te quitte ma petite chérie en t’embrassant mille et mille fois.
Ton Marcel

Je regrette que ta mère soit encore enrhumée et je souhaite vivement que ce rhume ne se prolonge pas. Fais lui bien mes amitiés de ma part.
Bons baisers aux petits.
Toi qui aimes les présages, voilà 2 fois que je rencontre de gros grillons sur mon chemin et aujourd’hui une bête à bourdon ne voulait pas quitter mon bougeron.


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