Lettre du 21 mars 1917 soir d’Emilie Sibaud

Vincennes, le 21 mars 1917
Mercredi soir 6h

 

Mon chéri,
Je profite du calme qu’entraîne le sommeil d’Yves pour t’écrire ; nos deux mignons dorment tout les deux, maman lit le journal.
J’ai reçu à 3h ½ ta lettre de dimanche soir, je suis heureuse de voir que l’on t’a fait bon accueil, ce dont je ne doutais pas d’ailleurs. En somme tu as passé une journée agréable, cela te changera de ta vie surchargée de tous les jours.
Tantôt je me suis levée, j’étais plus forte, je suis allée et venue. Je me suis recouchée juste au moment de ta lettre, demain je pense déjeuner assise à table.
Nous serons très contents que tu apportes des œufs, pour les truffes si cela n’est pas trop cher tu pourrais voir, ainsi que les dattes. Tu feras pour le mieux, comme à ce moment là je t’aurai envoyé les 50 frs habituels, tu pourras rapporter ce que tu voudras, je te rembourserai en arrivant. Je crois aussi que tu pourras demander le transport, mais je vais en parler à mon oncle, je crois qu’il sera de cet avis. J’avais craint que sa lettre ne te cause quelques ennuis, il l’a fait en tout cas pour le contraire et je sais qu’il s’exprime assez sobrement pour ne pas ennuyé, je crois, celui à qui il écrit.
J’ai reçu en même temps que ta lettre un mot d’Yvonne, qui a appris la naissance de sœurette par Germaine Blanchard et qui nous félicite.
Nous avons l’air de continuer à avancer, le recul boche si [?], mais voilà déjà que l’on dit qu’il commence à résister, pourvu que ce ne soit pas comme les dernières offensives. Enfin il faut espérer, espérer surtout la fin prochaine et pour dire comme toi la paix par la victoire. Ce matin je désespérais, ce soir je ne sais pourquoi je suis moins pessimiste. Mais tu sais, j’ai trop de fois espérer la fin, maintenant je n’y croirais que quand ce sera fait.
Tu me parles de manœuvres, de terrassements de campagne, cela doit être encore joliment dur. Je crois que lundi et mardi compteront comme fatigue.
Il va falloir que je coupe du papier, il n’y en a plus beaucoup et je crois que toi-même tu en manques et comme je veux en mettre dans ton colis, ce fameux colis a été encore retardé par les deux jours sans gâteaux, mardi et mercredi.
J’ai eu pas mal de nouvelles de Clermont, mais j’attends toujours le manteau de Marie ; ce la va bientôt faire me faire défaut lorsque je vais vouloir sortir sœurette. J’en ai bien fait un dans du très beau molleton blanc, bordé de satin que m’a donnée Madame Huet ; t’en avais-je parlé ? T’ai-je dit aussi que le vendredi matin à9h, elle m’a apportée des mimosas et des violettes ? Elle a été tout à fait aimable et complaisante. C’est bien ennuyeux que Royer soit si bougeant !
Hier j’avais presque compté voir Madame Sibaud, mais elle n’est pas venue. J’ai su par la marchande de beurre qu’elle avait eu beaucoup de courses d’en Vincennes et des mères d’élèves qui étaient venues et que cela l’a empêché de venir. C’est ennuyeux jeudi et dimanche, elle ne viendra pas allant le jeudi à Paris chez Mme Levy et le dimanche en matinée chez les A. Elle va trouver sœurette changée car elle se transforme chaque jour. L’autre fois elle était restée du jeudi à l’autre dimanche et elle ne la reconnaissait pas. Crois-tu que l’autre jour Yves en avait caché son parapluie, nous étions en train de le croire perdu, quand au moment de s’en aller, nous n’y pensons plus, il est venu lui apporter triomphalement très heureux de lui ! Petit coup ? Il devient farceur ! Mais peut-être te l’a-t-elle déjà raconté ; elle m’a dit qu’elle t’avait écrit que la petite te ressemblait quand tu es né. Ça je ne peux pas le savoir (je ne t’ai pas vu), mais enfin je crois qu’elle tiendra plutôt de toi que de mon côté, seulement elle n’est pas très grande. Elle est plus courte qu’Yves au même âge. A côté de cela je crois qu’elle sera plus grasse que lui.
Il est 6h ½ et je t’écris à la lumière du jour. Nous n’avons que 2 [?] d’électricité pour ce mois-ci où l’on a forcément plus allumé qu’à d’autres moments à cause des circonstances.
Maman a été pour la carte de sucre, nous avons un supplément de 23 gr par enfants, en tout nous avons pour moins de 3kg 750 ; en temps ordinaire nous en employons 5, je crois que nous pourrons faire, nous avons d’ailleurs 12k de provisions d’avance, mais cela n’est guère intéressant à t’écrire ! Je pense voir les Gallo demain ou après-demain, toujours pas vu les Oudard, c’est un peu fort !!! Quoique dans la vie, il ne faut s’étonner de rien. On apprend un peu chaque jour ce qu’est le monde ; du reste cela me laisse assez indifférente, je ne les ai jamais considérés comme des amis mais comme des relations. Allons, au revoir mon chéri, j’espère qu’à Pâques tu ne vas plus me reconnaître, tu avais laissé presque une impotente et tu vas retrouver presque une jeune fille, hélas non ! Mais je ferai mon possible pour te plaire et être le moins mal possible ! Ah ! La sale guerre ! Nos plus belles années car ce sont les plus belles celles où l’on aime ! Mais je te quitte en t’envoyant mes plus tendres baisers.
Tout à toi.
Emilie

Caresses des deux tout petits.


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