Lettre du 21 mars 1917 de Marcel Sibaud

Valréas, le 21 mars 1917

 

Ma petite chérie,
Voilà qu’on recommence à nous éreinter physiquement. Ce matin encore terrassement. L’après-midi manœuvre. J’ai les jambes plutôt lasses ! Et demain tir au fusil mitrailleur à 6h30 au diable ; il faudra se lever à 5 heures. Par-dessus le marché, je m’étais bien mis à flot : le capitaine a gardé mon carnet 5 jours. Il m’a mis assez bien mais m’a retardé. Je pourrais essayer de me rattraper ce soir mais j’ai bien envie de me coucher. Voilà mon dimanche que se compromet.
Le capitaine a commencé à communiquer ses notes aujourd’hui. Mais il est bizarre. Nous nous étions entendus pour passer dans les premiers. Mon tour venu, je quitte ma pelle et m’approche. Après les travaux, me dit-il. Je retourne à mon trou et quelques minutes après, il en reçoit 3 ou 4 autres. Si je ne voulais éviter tout frottement, je ne redemanderais plus rien et attendrais pour voir s’il m’appellerait. Mais je n’espérai rien et me représenterai à la première occasion. La manœuvre d’Escande que j’avais pressenti se développe. Depuis un mois il ne fait rien, pour raison diplomatique de santé ; le capitaine lui laissant entendre un redoublement probable. L’autre crie bien qu’il ne veut pas redoubler, qu’il aimerait mieux partir de suite, que si on ne le propose il se fera nommer d’emblée par le ministère ; pour moi s’il cherche tant à se disculper c’est que son but est bien celui que je pensais. Comme je te l’ai dit, je ne m’attends pas à des notes brillantes, mais je m’en moque du moment qu’elles seront suffisantes.
Evidemment les notes définitives de l’Ecole me suivront au corps ; mais là peut-être sera-t-on plus sensible aux actes qu’au bluff et aux paroles ; pour ma part j’aime mieux être bien apprécié dans le civil et moins dans le militaire que l’inverse. Ici d’abord j’ai ce défaut de ne pas aller à la messe ; tant y vont uniquement parce qu’ils savent que cela leur assurera la cote.
Je n’ai pas eu le plaisir de te lire ce matin ; je n’ai eu ta lettre que ce soir.
J’ai été voir après dîner le communiqué. Les progrès quoique forcément plus lents continuent. En Champagne, on parlait de la ferme des chevrettes et je ne sais pourquoi cela me rappelait la maman chevrette et la maman brebis ; combien je voudrais entendre cette estimable histoire ! et faire l’échelle à petit Toto en regarder téter Marcelle. Puissè-je au moins vous voir à Pâques. Mais surtout ne te force pas pour être forte à ce moment là. Remet toi bien tranquillement. Il est fort probable que je ne pourrai passer par Clermont à Pâques. En revanche quand on quitte l’école on part en permission sans repasser par le dépôt. Je pourrai donc renvoyer à la maison quelques affaires et à Saint-Germain-des-Fossés pousser une pointe sur Clermont et revenir vite me blottir une dernière fois dans notre chez nous. Tu me dis qu’Yves devient beau ; c’est vrai que c’est un gentil petit garçon et d’après la description que tu me fais de Marcelle, nous pouvons nous féliciter d’avoir de tels enfants. Car ne trouves-tu pas que c’est encore la plus belle des satisfactions. J’en parle à mon aise car c’est toi qui souffre. Mais je suis sûr que quand même tu es bien contente de les tenir dans tes bras. Sans doute si nous n’en avions pas eu nous n’en aurions pas moins, l’un près de l’autre, passé des jours heureux, mais ces chers petits c’est un but et une joie car j’espère bien qu’ils ne nous feront pas de peine plus tard.
Le climat de Valréas est vraiment désespérant. Hier après-midi on suait à grosses gouttes, ce matin nous nous réveillons sous la neige et ce soir il fait très froid. Je t’assure qu’il ne faut pas être douillet pour supporter ces sautes. Heureusement mon rhume est bien passé et je ne tousse pour ainsi dire plus du tout ; je ne mouche guère et mes vilaines sécrétions sont à peu près taries.
Tu me dis que les nougats et berlingots vous ont plus. Mais tu ne me réponds pas à mes questions pour les œufs, les truffes, les dattes, etc.
Embrasse bien tendrement pour moi les petits et pour toi les meilleurs baisers de ton Marcel.


Commentaires fermés sur Lettre du 21 mars 1917 de Marcel Sibaud

Filed under Lettres de Marcel Sibaud

Comments are closed.