Lettre du 17 mars 1917 de Marcel Sibaud

Valréas, le 17 mars 1917

 

Ma petite chérie,
Encore une semaine de finie. Nous l’avons bien finie. Aux interrogations, je n’ai pas été appelé et ce soir nous avons manœuvré presque sans arrêt de midi à 6h ½. Aussi quelle faim en rentrant. Heureusement qu’en passant à une ferme vers 4 heures j’ai trouvé des œufs frais à 0 fr 10 ! J’en ai gâté 2. La soirée s’est finie sur une petite collation de Bernados. Gâteaux du pays et vin blanc. C’était fort bien.
A propos tu me diras si à Pâques, je ne ferais pas bien d’apporter des œufs.
Ce soir je me prépare pour demain matin, le train de 7h5. Je suis complètement à jour et n’ai rien à faire demain. Cette journée de dimanche me plairait tout à fait si elle ne devait remettre au soir la lecture de ta lettre.
D’après les bruits qui courent, ce serait le dernier cours du capitaine qui quitterait l’école après celui-ci.
J’ai appris avec émotion la révolution russe. Le tsar m’était sympathique. Mais s’il est vrai que c’est un mouvement national contre les boches, tant mieux. Si au contraire la Russie devait nous lâcher ce serait pénible.
Cette semaine, on doit nous communiquer nos notes. Je m’attends à être coté de façon très moyenne. Comme je l’ai dit, ici, il faut jeter beaucoup de poudre aux yeux ; cela fait bien plus d’effet qu’un travail sérieux mais tranquille. Or ce n’est pas mon genre. Mais la note en elle-même m’est égale ; ce que je ne voudrais pas c’est être refusé ou redoubler. J’espère bien que ce ne serait pas mon cas.
Je vais tout à fait bien. A la manœuvre pourtant longue j’avais retrouvé mes jambes et je me trouvais toujours avoir franchi les ravins et les crevasses. Le spectacle était superbe ; un bataillon avec mitrailleuses, bombes, fusées, tir de fusils, un beau vacarme. Mais vers le soir il faisait très froid et nous étions en vareuse.
Je suis heureux de savoir qu’il fait meilleur dans notre chambre.
J’écrirai demain ou après-demain pour remercier Suzanne de son acceptation. Nous devons aller l’autre dimanche faire un tour avec Bernados. Demain comme je ne serai pas là il ne sortira pas. Je ne pense pas manquer d’argent ayant touché mon prêt et ayant payé mon loyer. Tu me dis que tu mets de l’argent de côté. Je t’en remercie bien mais surtout ne te prive de rien : toi et les petits d’abord.
Moi je deviens de plus en plus un soldat. Tu me dis aussi de voir le pays ; il est fort intéressant, mais je ne puis retrouver mon ardeur touristique. Est-ce la fatigue corporelle, je ne crois pas ; c’est plutôt l’incertitude du lendemain, l’éloignement de ceux que j’aime, le manque de liberté et de chez moi. Je ne puis m’imaginer que je visite en touriste. Et j’en arrive à ne voir que le côté matériel ; aussi l’autre dimanche nous ferons une promenade pas trop dure et si possible un bon déjeuner. Croirais-tu que j’attends avec satisfaction celui de demain.
Tu es surprise de l’affaire de samedi dernier. Le milieu est loin d’être ce qu’on pourrait croire ; les fonctionnaires coloniaux ne valent pas cher. Je ne suis pas sûr que cela ne recommence pas ce soir. J’ai pu prévenir Bernados qu’on avait truqué son lit.
Je suis désolé encore plus que la lettre, que tu t’étais donnée tant de mal à m’écrire, ne soit pas parvenue ; je te remercie doublement de cet effort qui a dû être considérable si près de ta délivrance.
Je crois t’avoir dit que j’ai reçu ton 3e télégramme et que même j’étais très anxieux en l’ouvrant.
Je t’embrasse mille et mille fois ainsi que les petits.

Ton Marcel

Amitiés aux mamans.


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