Lettre du 20 février 1917 d’Emilie Sibaud

Vincennes, le 20 février 1917
Mardi matin

 

Mon chéri,
Bien reçu ta carte lettre du 17 ce matin. Tu dois être bien pris, je vois que tu as écris au crayon.
Pour nous, pour moi, je t’en prie ne t’inquiète pas. Il faut bien espérer que tout s’arrangera pour le mieux. Je serai bien désolée de ne pas te voir du tout à cette époque là, mais remarque bien que pour les chemins de fer, on ne parle que des permissions de 24h, et encore peut-il y avoir des exceptions dans le cas qui nous touche, pour ce qui est de ton travail, c’est autre chose, c’est à toi de juger, je ne voudrais pas que cela te causa le moindre ennui et je sais bien que comme moi tu serais heureux de venir et que ce n’est pas pour ton plaisir si tu ne parviens pas à venir nous embrasser.
A propos de voyage je viens de recevoir une invitation pour toi, que l’on va d’ailleurs te transmettre. Je viens de recevoir une longue et bien affectueuse lettre de tante Marie, qui me donne de longues explications sur leurs amis de La Palud, qui seraient heureux que tu ailles passer un dimanche avec eux. Il paraît que ce sont des personnes charmantes, M. Salignois officier d’administration retraité a repris du service pendant la guerre et administre pour le moment un hôpital près de Toulon, sa femme et ses filles habitent donc La Palud. Avant elles ont eu longtemps en charge un hôpital de convalescents, enfin on me presse beaucoup de t’engager à aller déjeuner chez elles le premier dimanche qui tu seras libre. Je me souviens que Marie m’avait beaucoup parlé d’elles pendant mon séjour à Clermont l’année dernière.
Oncle Emile a reçu ta lettre et s’est précipité sur un dictionnaire géographique pour mesurer la distance qui te sépare de La Palud. 20 km paraît-il. Il forme des vœux pour notre bonne santé à tous, me dit tante Marie, et ta lettre lui a, paraît-il, causé un très grand plaisir.
Mais je te parle beaucoup, j’aurais bien pu te mettre la lettre de tante, cela aurait été plus simple. C’est que je crains te t’encombrer ; si tu as des choses qui te gênent, renvoies les nous.
Je vais expédier un petit colis, je pense que maintenant le chemin de fer l’acceptera et qu’il ne te sera pas trop difficile d’aller le chercher à la gare, il ne sera pas encombrant.
Comment s’est passé cette fameuse interrogation ?
Il pleut, un vilain temps gris, qui n’impressionne pas favorablement les cœurs, non cela ne vous engage pas ; du moins à un peu d’optimisme. On se sent au contraire comme envelopper par cette eau et on a comme une gêne pour respirer.
Déjà plus d’une semaine que tu es parti ! Il me semble mon aimé que cette semaine a duré le double des autres ! J’ai beau m’occuper beaucoup, travailler pour Yves, pour le cher petit attendu, justement ces petits travaux ramènent encore plus vers toi ma pensée. Je regardais en rangeant des tiroirs de photographies que tu as prises à Meaux avec le château, il me paraît qu’à cette époque nous étions très jeunes ! Que des années et des années séparent ce temps là d’aujourd’hui. Je crois que je ne pourrais plus avoir jamais l’insouciance d’alors ; il y avait aussi des vues de Quiberon, nous y avons été si heureux, nous y avions passé de si bonnes vacances, nos randonnées sur la côte sauvage ! Comme tout cela est loin. Mais à quoi bon te rappeler ces souvenirs, tu étais comme moi, tu y avais souvent songé ! Dire que nous rêvions de voir petit Yves mettre ses petits petons dans l’eau salée hélas ! Quand viendra-t-il l’été où nous pourrons les voir s’amuser sur le sable, nos tous petits. Il y a des jours où l’on ne voit plus la fin de cette horrible guerre, où je désespère à d’autres instants je me prends à croire que les beaux jours reviendront qu’après l’épreuve nous retrouverons le bonheur d’autrefois, te sentir à nouveau près, tout près de moi, ne plus te quitter !
Mais il faut que je te dise encore une fois au revoir. Yves ne serait pas content si je ne lui laissais pas un peu d’espace pour laisser courir sa plume à son grès et t’envoyer son petit gribouillis habituel, à bientôt le plaisir de te lire mon aimé, je t’embrasse bien tendrement.
Tout à toi.
Emilie

soldat enfant[Ligne d’Yves] Mon papa chéri,
Je viens t’écrire une grande lettre. Je veux te dire beaucoup de choses, d’abord je pense bien à mon papa soldat et je voudrais bien t’aider à porter ton gros sac et tout ton barda, tes belles musettes ! pan ! Je voudrais faire l’échelle. Je voudrais aller dans la montagne avec toi. Je voudrais t’embrasser pour de bon. J’embrasse ta lettre, elle te portera mes baisers, mes grands-mères aussi t’embrassent.
Ton petit Yves


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