Témoignages #2

…/Suite de l’article du 11 mars 2011

 

Eric, Emilie et MarcelEnsemble de petites historiettes liées plus ou moins directement à la Grande Guerre :
. Marcel racontait en faisant les gros yeux et en grinçant les dents d’une mâchoire légèrement prognathe, que ses tirailleurs après un assaut des tranchées allemandes, les « nettoyaient » en chantant « coupe-coupe les cabèches ». Sans rentrer dans le détail car ma grand-mère ne l’aurait pas permis, je comprenais parfaitement ce que cela voulait dire. Ses tirailleurs achevaient les blessés et qu’ils soient déjà morts ou passent de l’être, ses tirailleurs ramenaient les têtes de l’ennemi comme des trophées. Mon frère a récupéré l’un de ces coupe-coupe, relique des combats tout comme un casque de « boche » perforé par une balle.
. Marcel avait peu d’estime pour la manière dont les officiers russes traitaient leurs ordonnances. Ces officiers rentrant d’un assaut, s’écroulaient de fatigue en hurlant à ces ordonnances « un russe à mes bottes », afin qu’ils les leur retirent (je ne sais pas s’ils le disaient en russe, mystère !).
. Marcel m’offrit mais à mon grand désespoir rétrospectif je l’ai cassé et perdu, un objet que ses soldats lui avaient offert  en reconnaissance sans doute de sa « baraka » : un modèle réduit d’un avion biplan fait avec des morceaux de boîtes de conserve, un vrai bijou !
. A certaines occasions en fin de repas dans la salle à manger, Marcel me posait le casque « boche » sur la tête, me donnait un vieux fusil de la guerre dont il ne restait plus que l’armature en bois et qui était plus grand que moi, il ouvrait un tourne-disque de la fin des années 50 et y jouait un disque « noir » 25 cm qui regroupait des musiques militaires dont l’hymne des « marsouins » (infanterie coloniale), c’était d’ailleurs la seule musique qu’il écoutait (à part peut-être celle du music-hall des Folies-Bergères mais c’est une autre histoire que je compris plus tard). Alors comme un cobaye dans sa cage, je tournais tout autour de la table je ne sais combien de fois, défilant d’un air martial avec un pas cadencé par un signe de main de mon grand-père.
Ensuite en grandissant, mon grand-père m’entretint plus sérieusement de sa guerre. Je l’accompagnais par deux fois à des cérémonies militaires toujours avec angoisse car il tenait à ce qu’on le respecte et qu’on respecte le « drapeau » et cela l’amenait à se faire remarquer et j’avais horreur de cela. La première fois je prends place avec lui dans les tribunes du 14 juillet car il était invité. Je me levais avec lui systématiquement à chaque passage du drapeau d’une unité, par malheur un jeune officier d’active devant nous restait assis et il se fit copieusement, pâle comme un mort, enguirlander par ce grand vieillard qui en imposait avec sa Légion d’Honneur. La seconde fois, je l’accompagnais avec Joëlle aux obsèques du Maréchal Juin. Il était invité mais debout dans un espace réservé au pied de l’estrade officielle. Il n’eut de cesse de nous faire rentrer tous les trois dans la tribune officielle et devant les yeux médusés des militaires de l’accueil, nous fîmes lever l’ensemble de la famille Juin pour occuper trois de leurs places réservées à des invités. Il faisait un temps de cochon, Joëlle et moi nous nous sommes enrhumés mais grand-père, non.

Eric François


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