Lettre du 27 avril 1917 d’Yves Sibaud

27 avril 1917

Mon cher papa,
Maman veut bien me faire écrire, j’ai beaucoup de choses à te dire. D’abord j’ai vu une saucisse des tranchées qui est passée au-dessus de nous. Tout le monde regardait en l’air, c’était beau. Monsieur B., il m’a appelé : « petit Yves vite un ballon, c’est une saucisse des tranchées ». C’était beau, beau et les pauvres soldats, ils n’ont pas pu arriver à s’attacher à la caserne des dragons et ils sont partis dans les airs dans le ciel. « Pauvres soldats ! » maman disait que c’était bien malheureux ! Ils sont passés aussi au-dessus de chez grand-mère Sibaud, tu sais elle a donné une belle voiture à petite sœurette et ma petite maman hier a bien brodé une belle couverture  pour quand tu viendras. Moi je la traîne parce que je suis grand. J’ai été aussi chez tonton Gallo, il a dit : « Marcel, c’est un énergique mais il en fait de trop ». C’est beau ça « énergique ». Quand je serai grand comme toi, tu sais je serai grand comme toi parce que je mange beaucoup. On dit que je ressemble à maman, mais moi je veux être comme toi, je veux bien que petite dote-dote te ressemble mais moi aussi n’est-ce pas que je suis sage moi aussi ? D’abord tu l’as dit quand tu es venu à Pâques. Quand j’étais petit petit, je criais, c’est parce que je ne savais pas ce que je faisais.
Je voudrais être avec toi à Valréas, je me mettrais sur ton sac, et… en avant ! Tu verrais ça, je te tiendrais par ton cou et puis je t’embrasserais la tête, parce que tu serais bien mignon de me porter, ça serait pour aller vite vite. Y a pu de papier pour écrire alors faut que je te dise au revoir. Je t’envoie des baisers avec mes deux mains. Je t’aime moi.
Ton petit Toto.

[Emilie]
J’ai écrit comme notre cher petit le demandait, je sais que ces paroles naïves venant de lui te seraient précieuses. Déjà son intelligence s’ouvre, à bien des nuances il me faut relire ce que nous avons écrit pour voir si c’est bien dit !


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Lettre du 27 avril 1917 d’Emilie Sibaud

Vincennes, le 27 avril 1917
Vendredi matin

 

J’attendais avec impatience de tes nouvelles, je ne t’avais pas lu mercredi, et hier je n’ai eu ta lettre qu’à 7h.
J’ai été comme je l’avais fait prévoir chez ta mère avec Yves. Il a été très gentil et a bien dit bonjour à une dame avec qui ta mère a fait relation chez les A. et qui a un parent major chef à Salonique, le docteur Perain je crois. Elle m’a bien recommandé de lui dire si tu allais par là, car c’est paraît-il un homme charmant et qui peut être utile.
Nous avons fait la marmite norvégienne et les résultats n’ont pas l’air mauvais jusqu’ici. Je crois que Madame Sibaud a l’intention d’aller en villégiature avec cette dame dont je te parle plus haut, à Fontenay, près de V., au-dessus de Maisse, jusqu’à Montargis.
Le temps a l’air de se remettre au beau, mais nous avons toujours du vent bien désagréable.
Le cousin de ma tante n’est pas coloniale, mais paraît-il il peut demander à avoir la personne dont je te parlais avec lui. J’aurais bien voulu que tu m’écrives quelques détails et si ceux qui ont été comme instructeurs, y ont été envoyés tout de suite ou par leur régiment ?
Madame Parville m’a fait savoir que son fils est capitaine inf. coloniale 54e à Salonique et qu’il trouve le front français beaucoup plus dur, que comme officier il se trouve très bien pour plusieurs raisons où il est. C’est vrai que c’est un colonial ! pour de bon comme dirait Yves.
C’est bien ennuyeux que tu souffres du pied comme cela, il faudrait du repos et ce n’est pas précisément ton régime.
Le fils de notre concierge est en permission de 7 jours. Il vient d’être pris d’hémorragies nasales et souffre du pied. Il est dans le génie, il était tombé dans un puits.
Le fils de Mme Tissier vient d’être blessé ! d’un éclat d’obus à la tête, heureusement qu’il avait un calot qui l’a protégé. Sa blessure est légère. Son second fils Georges est à Salonique pris par les fièvres, avec cela sa vieille mère est très malade.
On a l’air de parler d’une carte de charbon, ma foi je trouverais cela mieux, peut-être ainsi tout le monde en aurait-il ?
Ce sont des petits détails qui ne seraient rien si nous n’avions les deux petits ; sœurette devient de plus en plus mignonne, elle reste des heures dans son petit moïse à me regarder coudre, quand je lui parle elle me sourit gracieusement et parfois quand je ne la regarde pas, elle m’appelle avec des petits cris. Yves tient à t’écrire lui-même, ainsi que te transmettre les caresses de notre toute petite et les amitiés des mamans. Je te quitte en t’envoyant mille et mille baisers.
Tout à toi.

Emilie


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Lettre du 27 avril 1917 de Marcel Sibaud

Valréas, le 27 avril 1917

 

Ma petite chérie,
Je t’écris ce soir à 5h ½ car il y a manœuvre de nuit. La journée a pourtant été déjà longue mais pas embêtante. Par exemple il nous tombe un nouveau travail qui va me gâter les projets que j’avais fait pour dimanche.
A la manœuvre j’ai bien ri. Le capitaine major de l’école m’appelle ; il m’avait un peu secoué, c’est sa manière au dernier exercice de nuit. Il me le rappelle et me donne une orange avec une large poignée de main ; il crie facilement mais il est fond très gentil.
J’ai appris avec joie le poids d’Yves. Il me paraît magnifique si mes souvenirs sont exacts. Cher petit ! Cela fera j’espère un beau garçon ! Pourvu qu’il n’aille pas prendre le mal de son petit voisin. Je suis d’ailleurs bien peiné de savoir Roger si fortement pris.
Je vais remercier maman pour la voiture ; mais cela a dû lui faire une bien grosse dépense. A-t-on défalqué la valeur de reprise de la vieille ; as-tu complété la différence, le cas échéant.
Les réflexions de Toto sont vraiment étonnantes. Mais il ne faut pas se tourmenter pour un mot que je te dis et qui paraît un peu gris. J’ai tort, je le reconnais de laisser parfois échapper un mot de travers. Mais tu comprends, le moment où je t’écris est le seul où je pense parler à cœur ouvert. On a besoin de communiquer à quelqu’un ses impressions et n’est-il pas naturel que ce soit à toi. Mais ne crains rien, la foi reste solide, l’espoir ne disparaît pas et si le mistral parfois arrive à incliner légèrement la cime de mon optimisme, le beau soleil printanier, une lettre chérie, une parcelle de gui ont vite fait de lui donner une nouvelle vigueur et de la faire pointer plus haut encore dans le ciel bleu.
Au fond j’espère bien qu’il me sera donné de les protéger longtemps les chers petits et la maman avec. Si seulement je pouvais revenir avec sur la poitrine une tache qui ne serait pas du sang à côté d’une autre où donnerait le vert sombre des bois vosgiens ! On tâchera d’y arriver !
Là-dessus je te quitte, il faut que j’aille à la poste porter le cours que j’envoie à faire polycopier.
Pour toi et les petits mes meilleurs baisers ;
Ton Marcel

Mon cher petit Yves ;
C’est bien gentil à toi d’avoir ramassé un brin de gui pour ton papa sonnedat. Le gui lui est particulièrement cher à ce vieux troupier et tu pourras demander à maman si elle se souvient d’une grosse touffe de gui sous laquelle elle est passée il y a bien longtemps au bras de papa. Puisse ton petit rameau m’être aussi favorable que ce gui de jadis.
Et ce qui me plaît aussi c’est que tu as choisi un symbole bien français. Quand tu seras plus grand, tu apprendras que les gaulois le cueillaient pieusement sur les grands chênes des forêts de France ; ils montaient sur leurs grosses branches et couverts de longues robes blanches. Ils cueillaient la plante avec une faucille d’or, cela devait être beau, n’est-ce pas ? On criait « Au gui l’an neuf ». Nous pourrons aussi le crier un jour quand nous aurons cueilli le gui de la victoire. Cette fois-là comme les vieux druides aux longues moustaches, mon petit Yves mettra son joli costume blanc avec lequel il est si mignon.
Au revoir mon petit chéri. Pour sœurette et toi mes meilleurs baisers.
Papa sonnedat !


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Lettre du 25 avril 1917 d’Emilie Sibaud

Vincennes, le 25 avril 1917
Mercredi matin 9h

 

Mon chéri,
Je ne t’écris pas bien longuement ce matin, non, je n’ai rien dit ! Maman est partie ! Donc j’irai mettre ta lettre moi-même avec Yves à 11 heures. Je peux donc te parler au contraire longuement.
Yves a ramassé hier au bois un brin de gui pour toi, on en coupait dans les arbres et il en a eu un peu, je veux croire, espérer, que ce qui te portera bonheur, surtout offert par ton cher petit.
Voici le temps qui redevient gris, deux jours de beau et encore de la pluie probablement. J’ai reçu hier à 3h ½ ta lettre de samedi alors que j’avais reçu le matin ta carte de Pierrelatte de dimanche et ta lettre de vendredi.
Pendant que j’y songe que je te note le poids d’Yves : 16 kg 460.
Hier j’ai eu l’agréable surprise de recevoir une voiture pour sœurette que ta mère lui offre. Elle est très jolie, je l’ai préférée vert sombre, intérieur et train crème, elle est superbe.
J’ai reçu aussi un petit bonnet de laine bleu ! de Madame Oudard. J’avais eu une lettre de Laurence trois jours auparavant m’annonçant le « tout petit cadeau » offert de grand cœur. Mais de visite on n’en parle toujours pas ! Quoique la tournure de la lettre soit beaucoup plus gracieuse, ce n’est pas possible, elles vont avoir besoin de nous !!!
Roger est toujours dans le même état, je ne savais pas que dans la rougeole on souffre de la gorge. Il paraît qu’il a autant de bouton à l’intérieur qu’à l’extérieur ! avec cela il doit avoir de [?] car il y a toujours du sang dans ses matières. Sa rougeole ne serait rien, ce qui est paraît-il plus grave ce sont ses yeux et sa gorge mais heureusement je crois que ses parents ne voient pas la gravité de son état.
Je suis bien contente que tu es reçu mon colis, je t’en prie n’attends pas que les aliments soient détériorés par le temps pour les manger. Je suis désolée de ta savoir ainsi surmené, ces cauchemars ne me disent rien de bon, je crois que tu aurais besoin de repos. C’est justement ce que pensait qui tu sais.
Pour ceux qui font faire leur uniforme, c’est peut-être qu’ils craignent ne pas avoir assez de temps ? Tu ferais peut-être bien de regarder un peu. Enfin je crois qu’en s’adressant à B.J. tu auras tout assez vite.
Je vais encore te raconter un trait d’Yves. L’autre jour chez les Gallo, on a parlé d’une jeune fille qui mangeait ses cheveux, et l’on est arrivé à dire que beaucoup de chevaux faisaient pour leurs poils. Alors hier matin, pendant que je le peignais, Yves me dit « tu sais maman, il y a des dadas qui mangent leurs cheveux, ça leur fait des gros paquets sur l’estomac et on est obligé de leur ouvrir pour leur enlever les paquets de cheveux ! ». Nous n’avons pas dit que l’on opérait les chevaux mais on avait parlé de l’opération de la jeune fille en question, c’est te dire s’il entend tout et surtout comprend tout. Mais j’espère bien mon chéri et de toutes mes forces encore, que ce sera toi qui le dirigera dans les branches, comme tu veux bien dire où son père a échoué, cela me fait de la peine que tu m’écris ainsi ! Je me sens perdue ! toute seule, tu sais bien que quand je ne t’ai plus près de moi je suis toute désemparée. Quand tu m’écris des paroles aussi tristes que cela, j’en suis encore plus malheureuse. Je ne vis que dans l’espoir de nous retrouver car sans toi je n’ai pas de raison de vivre. La vie ne serait plus pour moi qu’un devoir à remplir vis-à-vis de tes chers petits. Sans toi, tout est fini pour moi. Mais ne parlons pas comme cela, il faut se dire que nous allons nous revoir bientôt, que l’avenir est peut-être moins sombre que nous ne le craignions pour nous.
Je vais aller remercier ta mère aujourd’hui. Je suis bien contente que tu es eu de ses bonnes nouvelles.
Je vais écrire à Clermont. Je dois une lettre à tante Amélie et à Marie, as-tu de leurs nouvelles ?
Allons au revoir mon chéri, j’ai espoir en qui tu sais, pour ce qui nous intéresse tant.
Je te quitte en t’embrassant mille et mille fois, bonnes caresses de notre grand garçon et de notre chère petite Tranquille.
Tout à toi.

Emilie
N’as-tu rien à me dire question équipement ? Et pour le képi ?


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Lettre du 25 avril 1917 de Marcel Sibaud

Valréas, le 25 avril 1917

 

Ma petite chérie,
Encore une journée de longs exercices. 6h ½ du matin à 10h ½ et 12h ½ à plus de 16h ½. Mais journée pas mauvaise. Par 2 fois le capitaine a trouvé bien ce que j’avais fait ; j’en étais émerveillé.
Le bruit court avec persistance que le cours serait prolongé jusqu’au 22 mais de façon que nous recevions à Valréas notre nomination ; ceux du moins qui l’obtiendront. Nous n’aurions pas ainsi à retourner à notre ancien dépôt, au moins d’une façon officielle. Nous aurions toujours nos 7 jours de fin de cours mais cela nous servirait de permission d’équipement. Je ne sais encore si cela est bien exact.
On vient de demander des volontaires pour Salonique : 30, je crois. Une offensive paraît probable de ce côté ; peut-être même est-elle commencée. Les 30 seront, je crois, facilement trouvés ; rien que notre section en fournit 5.
J’ai reçu de Mme Martin une lettre fort aimable ; elle ne veut faire payer que les clichés et le papier ! Je ne saurais admettre cette solution et vais lui dire en lui envoyant les manuscrits. Elle savait par sa sœur que je suis venu en permission : Vincennes est petit ! Elle parle fort gentiment  de notre petite poupée et de notre futur soldat.
Je suis comme toi bien ennuyé que Roger ait la rougeole. Je ne connais guère de moyen de préservation. Cependant il me semble que la manière suivante de procéder serait de la meilleure. Naturellement éviter toute visite et même si possible toute conversation à petite distance avec la famille Huet et la concierge, rester le moins possible dans l’escalier ou à proximité de la loge et tâcher que la concierge l’aère largement. Sortir de même les enfants, sans doute les baigner. Peut-être brûler de l’eucalyptus dans les pièces. Au besoin demander conseil à la doctoresse. Mieux vaudrait lui faire une visite préventive que d’avoir à lui demander des visites curatives. Si tu écris à Clermont, tu pourrais aussi demander conseil d’oncle Emile, je le ferai de mon côté. En tout cas, à la moindre inquiétude fais venir la doctoresse.
Pour l’instruction de la classe 1918, il faut en effet être affecté d’abord à un dépôt. Et là il faudrait être devin ou vraiment bien informé pour savoir si à tel endroit on a plus de chance d’y être employé qu’à tel autre. Comme je ne suis ni devin ni si parfaitement informé, sauf erreur, je crois qu’il faudrait s’en tenir à rechercher le 23e colonial pour son dépôt à Paris. Pour cela c’est, si je suis bien informé, une question de Ministère de la guerre et la division des troupes coloniales pourrait très bien me donner cette affectation si elle le voulait.
Nous avons beaucoup discuté avec Bernados la question d’équipement. Je crois avoirs trouvé une solution qui me permettra d’être bien équipé à bon compte. Je crois que je me laisserai aller à prendre une paire de bottes ; il paraît que c’est merveilleux pour patauger dans l’eau, ce n’est pas mal non plus à la ville, tant s’en faut et ce ne serait pas sensiblement plis cher qu’une paire de bons brodequins avec des leggins convenables. On m’a indiqué une maison dont je me ferais envoyer le catalogue, le cas échéant. Si je pouvais aussi trouver d’occasion une cantine en bon état et un sabre, ce serait intéressant, à moins que ton oncle n’en ait un vieux ?…
Je te quitte ma petite chérie en t’embrassant mille et mille fois.

Ton Marcel
Bons baisers aux petits.
Amitiés aux mamans.


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