Lettre du 25 février 1917 d’Emilie Sibaud

Vincennes, le 25 février 1917

Dimanche matin

 

Mon chéri,
Encore un dimanche ! Le soleil a daigné briller un peu ce matin, encore l’annonce d’une journée moins morne, moins grise que les précédentes.
J’ai eu le plaisir de te lire ce matin en m’éveillant, c’est un agréable début, c’est le moment le plus heureux de ma journée celui où je te lis, et celui-ci où je puis répondre à tes gentilles lettres.
Je suis très contente que tu aies reçu de la correspondance. Je trouve que tu devrais prendre les molletières, ce serait beaucoup plus agréable à mettre et beaucoup plus vite fait.
Pour le vin, je t’en prie ne te prive pas de vin blanc. Je ne veux pas que tu prennes de l’eau, on ne sait quelle eau ! Et puis le vin te réconfortera toujours un peu, enfin j’y tiens, cela n’est pas une dépense tellement forte, puisque ta chambre est partagée. Manqueras-tu d’argent ? Il faudrait me le dire, je t’en enverrai aussitôt, d’ailleurs n’importe comment je vais t’en envoyer la semaine qui vient, crois-tu que 50 fr te suffiront pour commencer, car tu viendras peut-être en permission tout de même, si parfois le travail donnait moins ? Je crois que maintenant l’événement ne peut plus tarder.
Hier je t’ai envoyé un colis, mais je l’ai mis à domicile, la différence est si petite que j’ai pensé que tu l’aurais plus facilement et plus vite.
Cela ne m’enthousiasme pas du tout que la capitaine te fasse « barder ». Je préférerais qu’il eu plus de ménagement à ton égard ! Quel drôle de caractère, il me semble que si tu étais officier, il serait moins dur. Ce que je serais curieuse de savoir c’est si ceux qui ne font rien sortent aussi bien notés que ceux qui travaillent ! Et s’il y a une question de piston. Je veux croire que non !
Je n’ai pas eu le courage d’aller voir les Gallo hier, peut-être aujourd’hui me déciderai-je à faire faire un tour à Yves. Si je peux j’irai jusqu’aux « chevaux de bois », il me réclame souvent cette promenade, « les chevrettes », « Guinol » [écrit ici selon la prononciation approximative d’Yves], les chevaux de bois, et… une petite gaufre avec papasonnedat ! C’est la petite gaufre qui m’a bien amusée.
En ce qui concerne La Palud, je pense bien que tu ne vas pas aller faire 30 K à pied ! non.
Ton programme pour aujourd’hui est déjà assez rempli, c’est une bonne idée de nous renvoyer tout ce qui t’est inutile, en revanche pense à nous dire ce qui te serait utile ! A propos j’ai vu une jolie trousse tout en cuir jaune, garni convenablement pour 22 fr.
Enfin c’est toujours une consolation, qu’en tout les cas, si tu ne peux venir pour la naissance, tu ne perdes pas du moins étant en permission, c’est si loin, et… pourtant si près. Je ne sais ce que je dois souhaiter, ton éloignement me peine et pourtant je voudrais qu’il dure, puisque c’est à lui que je dois de ne pas avoir toutes les anxiétés qu’occasionnerait ton vrai départ. Si cette guerre pouvait finir ! On prend pourtant assez de mesures rigoureuses ces temps-ci, as-tu lu pour les voyages ? Ce n’est pas que cela me gêne personnellement, je n’ai jamais songé à aller en villégiature quelque part cette année ! Ce mot de « villégiature » paraît tout drôle ! Voici déjà trois été que nous n’avons bougé à part le voyage à Clermont qui est pour moi, dans ces années troubles, presqu’un arrêt d’angoisse, je t’avais près de moi. Je croyais que je t’aurais toujours, j’avais espoir hélas ! que cette terrible guerre finirait cet hiver ! Allons, je veux croire, oui, j’espère l’épreuve sera-t-elle moins dure, moins longue que l’on ne croit ! Espérons que sera prochain le temps où nous regarderons les quatre petits pieds barbotés dans l’eau salée ! Que ce serait bien, un peu de calme après cette époque tourmentée.
Les promenades ici ne peuvent qu’évoquer un temps plus heureux où nous les parcourions ensemble.
Je te quitte pour ce matin mon chéri, je t’envoie mille et mille baisers, que ma lettre te porte ma tendresse et l’assurance de ma pensée toujours constante à tes côtés.
Tout à toi
Emilie

Gros baiser à mon papa chéri


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